trois mille silhouettes grouillantes au sommet et j’en fais partie, au plus haut du monde sinon à des hauteurs éprouvantes – froid glacial et bourrasques à chavirer – et toujours la même question qui me presse : faut-il encore voir le spectacle qui se déploie vers où tout le monde regarde, où le soleil se lève ? – il est cinq heures. Ce n’est pas de l’autre côté qu’il faut regarder, ni vers la mer de nuages en-dessous, tempête de lait calme qui s’allume lentement à mesure que le soleil la traverse ; ni sur la droite vers le flanc calciné terrible du volcan Agua, où demeurent les foyers d’incendie qui ont ravagé cette nuit des hectares de terre encore fumantes. Du spectacle, on ne verra rien, il faut tourner la tête. Car le spectacle est la foule. La foule bigarrée incroyable, mêlant occidentaux plus ou moins équipés, parfois en short de foot ou en sandales, et quelques guatémaltèques en weekend. On ne cesse pas un instant de prendre en photo le même soleil levant. On parle dix langues et l’anglais. Au sommet de l’Acatenango, le spectacle est la foule. La foule à force d'être trois mille qui a creusé des sillons de plusieurs mètres de profondeur dans la terre depuis la base du volcan jusqu’au sommet. Trois mille personnes ordinaires grimpées sur un volcan à très haute altitude pour prendre le soleil en photo. Trois mille personnes qui théorisent, contre les lois de l’aride et de la témérité, qu’aujourd’hui rien n’est plus inaccessible pourvu qu’on le veuille. Ouvertes les extrémités du monde, ouvert le spectacle – et le volcan ? Triste incendié