« On dit que Vitalie Rimbaud, née Cuif », etc., etc. Je reprends Rimbaud le fils par curiosité, car la première fois, il y a quelques années, je l’avais trouvé décevant, embrouillé par rapport à la clarté prodigieuse des Vies minuscules.

J’ai également appris avant-hier, par le journal, que Michon s’apprête à faire paraitre une romance de 500 pages chez Gallimard, mettant aux prises, je crois, un écrivain et une jeune journaliste (!) dans le Paris d’aujourd’hui. La grosse blague !

À propos des dernières relectures pour son roman — qui n’est sans doute qu’un canular — il disait y mettre « de l’eye-liner » pour l’embellir.

Une partie d’échecs contre B. Perdu ma dame dès l’ouverture, la Sicilienne Dragon, que je ne maitrise pas du tout. J’ai passé une partie de la journée à essayer de comprendre pourquoi :

La sortie de ma dame en C7 est un bon coup ; la prise du pion G7 est discutable, mais peut encore se jouer. C’est ensuite que je me suis trompé : je me suis ravisé, j’ai voulu défendre ma position quand il aurait fallu, au contraire, pousser radicalement mon avantage.

Voilà pourquoi j’apprécie tant les échecs : je ne peux pas m’empêcher de les voir aussi comme des leçons de vie. Il faut toujours pousser son avantage, en quelque matière que ce soit, et sonner l’hallali à chaque fois qu’on veut croiser le fer.

Au Bourget.

Chaleur écrasante. J’ai tout calfeutré et me suis passé sous l’eau froide toutes les trois heures. Le soir, je sens la chaleur qui remonte. Elle ne vient plus de l’air, qui est doux passé 22h, mais de sous le bitume, où j’imagine que ça crépite, que ça explose même parfois, et que les gaz brûlants d’échappement forment de grandes poches de compression qui nous menacent d’un danger lointain. Encore plus profondément, j’imagine d’immenses forges sous le bitume.

Courir, hier : je visais le record sur 10 000, mais seulement 46 minutes, au lieu des 44 espérées. J’étais en colère, pendant l’effort, après le 7e kilomètre, de sentir que mes jambes ne pouvaient plus augmenter la cadence et mon coeur battre plus vite. Cela me paraissait aussi absurde que de vouloir lever le bras ou pencher la tête sans y parvenir.

Je poursuis la lecture du Rimbaud de Michon. Dès qu’il fait une phrase, il se passe quelque chose de l’ordre de l’envoutement.

S’il fallait être sévère (il ne le faut pas), on pourrait toutefois dire qu’on distingue quand même, parfois, les coutures du texte. On devine où il a raturé, où il a récrit. On remarque aussi quelques effets de style trop appuyés — et je me demande d’ailleurs si, dans cent ans, les gens comprendront encore ce que notre époque avait pu trouver à ce qu’ils considéreront sans doute comme un petit type verbeux.

Mais lire Michon quand on écrit soi-même, au bout du compte, c’est un désastre. Comment ne pas être tenté de l’imiter, puisque c’est lui qui écrit exactement tel que nous rêverions d’écrire ? On l’imite même si on s’en défend; on file les mêmes métaphores difficiles, on aiguise comme lui le passé simple.

Et bien sûr que c‘est un désastre, puisqu’on a l’impression que c’est dans la même veine, mais nous c’est empesé quand lui c’est aérien. Le roi vient quand il veut, chez qui il veut. Et depuis que j’ai repris Michon, je sens par-dessus mon épaule, quand je travaille, une mauvaise fée déguisée en lui qui m’encourage dans le désastre.

J’envisage l’achat d’un tarot Marseillais. Au début, c’était pour la N.A., maintenant c’est juste pour moi. L’idée du tirage qu’il faut interpréter, les mille signes sur les cartes me séduisent. Il faut interpréter des images combinées entre elles selon un rituel — et savoir aussi qu’il y a, pour l’interprétation, toute une culture en soutien. Mais ce jeu, pour honorer les traditions, il faudrait que je tombe dessus par hasard…

Reçu tout à l’heure mon Pléiade de Rimbaud, acheté à un Briochin que je devine jeune et enthousiaste. Peut-être un adolescent qui aurait beaucoup aimé prendre l’éclair en pleine gueule ? — et pourquoi donc le revend-il ? Ou bien un vendeur de BD qui serait piqué de Rimbaud ? Ou bien celui vivant juste au-dessus du vendeur de BD ? À l’époque, il y avait une boutique de BD juste au-dessus de l’appartement du père de C., à Saint-Brieuc. J’ai l’intuition, un peu bête, qu’il s’agit de lui. Je crois qu’il était du genre à avoir un Pléiade de Rimbaud entre deux Blake et Mortimer.

Les derniers mots connus de Rimbaud sont une lettre qu’il a dictée à sa soeur, et adressée à son directeur. C’est incompréhensible. C’est peut-être juste la fièvre, mais j’aime penser que c’est le dernier retour de cet éclair que certains d’entre nous ont pris un jour en pleine gueule.

« Un lot 1 dent seule

(…) Tous ces services sont là partout et moi impotent, malheureux je ne peux rien trouver, le premier chien dans la rue vous dira cela. »

Peut-être aussi qu’il y a, dans toute cette entreprise poétique, quelque chose de l’ordre de la méprise. « Ça ne veut pas rien dire », a-t-il pourtant protesté — comme nous tous un jour.