Oh la petite, comme elle m’inquiète.

Ce grand front clair est barré au tiers par un soleil de fin d’après-midi méridional. De l’autre côté, une élégante mèche de cheveux va se cacher derrière l’oreille.

Je remarque à présent seulement ce nez morveux d’enfant, qu’un mouchoir adulte ne tardera pas à essuyer. On le devine : il y a du sable entre les deux narines : on a dû jouer à la plage quelques minutes plus tôt.

Ces yeux maintenant — et ce qu’elle fixe là ? Les prunelles sont couleur ardoise, ou bien d’un bleu si pâle tirant sur le vert, vert-de-gris, je ne sais pas. Trop de nuances pour une enfant comme Kayla, qui n’en manque pourtant pas. Elle est vulnérable. Son regard est attiré hors champ mais un instinct lui commande de se méfier. Méfie toi, Kayla ! Et puis, qui pourrait dire qui se mire, ou quoi, dans l’éclat de ses yeux ?

Plus bas, les dents de lait tardent à tomber — celles de devant, les plus douloureuses, résistent quoique tordues. (Un jour il faudra passer chez l’orthodontiste, Kayla !) Un vilain bouton, de ceux qu’elle prendra grand plaisir à éclater plus tard, vers l’adolescence, point au-dessus de la lèvre supérieure et paraît un petit volcan prêt à entrer en éruption. Le menton est sec, irrité, légèrement déséquilibré vers la droite ; de ravissantes fossettes laissent imaginer, plus tard, une jeune femme vive.

Pourtant quelque chose inquiète dans le regard, on y revient. L’esquisse d’un émerveillement en même temps que la déception de ce qui n’a pas été. Un âge d’or est passé et Kayla, du haut de ses six ans, le sait avant tout le monde. La bouche se fige entre le sourire et la moue ; Kayla pourrait rire comme elle pourrait pleurer. Mais que lui a t-il promis, que lui a t-il donc fait, celui qui a photographié Kayla ?