Tempête à Carnac, la pluie bat contre la fenêtre — enfant, rien qui me fichait plus la trouille que les tempêtes. Je craignais toujours qu’un arbre tombe ; je voyais des branches mouillées transpercer la pièce, lacérer mes draps, abimer mes affaires. Je me réjouis du moment où je verrai, demain, la mer grise sous le ciel éparpillé.
Trente ans que je dors à intervalle régulier dans cette chambre d’enfant, que je n’ai pourtant jamais occupé durablement. Je crois pourtant n’avoir jamais dormi aussi régulièrement que dans cet endroit. Le lit superposé est le même que lorsque j’avais six ans ; peut-être que la couette aussi. Du dehors, le même ronron aigu de la ventilation. Si je sentais les odeurs, je pourrais dire qu’il y a dans cette chambre un mélange difficile d’iode, de pin, de bitume et de renfermé que les habitants de cette résidence — précisément de cette résidence, pas de celle d’à côté — reconnaissent entre mille et qui n’a pas changé depuis trente ans.
Maussade. La N.A. ne tient vraiment pas debout. Qui se laisserait entrainer par ce texte, si j’en suis moi-même si souvent dégoûté ?
Pour la soirée de Noël, avons regardé les vieux films que mon père avait faits lorsque nous jouions au rugby. Au milieu d’une vidéo — mon frère disputait un match et nous étions spectateurs –, C. apparaît sur l’écran. Je me vois la prendre dans mes bras pour la réchauffer. Elle souriait. Si longtemps que je n’avais pas vu son visage. À l’époque, j’étais beau. J’ai fait quelques efforts pour situer précisément l’année du film : sans doute fin 2009-début 2010. Je ne le savais pas encore, mais quelques mois plus tard, un an au plus, quelque chose allait bouger et ne plus se rétablir. — Je ne pouvais pas savoir que le visage de C. allait délimiter mon âge d’or.
Brève conversation avec M. au téléphone. Elle me dit que ça la démoralise. J’ignore si mon silence pèse plus que mes mots.
Scène pénible ce midi : mamie, que j’ai pourtant connue si alerte, si vive d’esprit, ayant toujours le souci d’autrui, répétait en boucle qu’elle avait mal au ventre et qu’elle devait se rendre à la pharmacie. Elle était prostrée, son pouls était élevé ; à un moment, elle s’est mise à claquer des dents. Ce que nous faisons de nos vieux est une chose effroyable.
Soulages à propos de sa première période abstraite : « il s’agit de traces s’organisant dans une forme qui se lit d’un coup. »
Bordeaux n’est pas du tout comme j’imaginais. Je pensais à une grande ville d’acier, à de grands bâtiments pointus accompagnés de larges espaces verts, jouant avec les courants d’air. C’est au contraire une ville basse où la pierre domine. Sa couleur, c’est l’ocre. On n’a qu’à lever la tête pour voir le ciel — gris et pluvieux aujourd’hui, la pluie dégouline et nous ronge jusqu’à l’intérieur. Les échoppes, anciennes habitations ouvrières, ne dépassent jamais deux étages.
Dans le centre, pour protester contre la fermeture des lieux culturels, un cinéma annonce que ses films continueront à être projetés sans spectateurs. L’atmosphère de Bordeaux, ces jours-ci, calque mon état d’esprit : quelque chose triste et rentrée, où même les passants les plus habitués, même ceux munis d’un plan ne savent où aller.
M. me prête le livre de Patrick Declerck sur les clochards à Paris. C’est dans la collection Terre Humaine, celle qui a abrité L’Été grec. Comme L’Été grec, c’est à la fois une étude ethnographique, un témoignage et un texte littéraire. La description du centre d’hébergement à Nanterre est saisissante ; je me demande si cet endroit existe encore aujourd’hui et s’il fonctionne de la même façon. S’il existe, il faudrait s’y rendre.
Avons passé la journée d’hier sous les averses. Vu enfin la base sous-marine, dont M. m’avait déjà parlé, et qui ressemble comme deux gouttes d’eau à celle de Lorient. À proximité, une soucoupe volante, soutenue par trois poteaux juste au-dessus de l’eau, qui s’intègre étonnamment dans le paysage.
Chez Mollat, acheté une plaquette de Pierre Vinclair sur le covid. Lu aussi une partie de l’essai de Pauline Harmange, Moi les hommes, je les déteste. Stupide. Comme si l’outrance et l’anticonformisme seuls formaient matière à penser. Rien d’autre qu’une suite déguisée de tweets, lapidaires et syllogiques, qu’on aurait mis bout à bout.
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