Hier soir. Anniversaire de G. Passé presque toute la soirée à regarder des gens danser. Peu de spectacles plus étonnants qu’un groupe de gens ivres dansant dans la pénombre. Il faut regarder les têtes avant les corps ; il y a une jouissance qui est cachée derrière un voile de concentration. J’admire, chez les danseurs bourrés, cet instinct primaire lié à la musique qui n’oublie jamais de renaître.

Macbeth. La langue shakespearienne est étrange ! — et comme pour toutes les langues étranges, on croit que c’est nous qui comprenons mal. On croit que c’est de notre faute, et on s’en veut un peu.

Mais il faut comprendre, je crois, que le texte attend justement de nous cet état d’inconfort, car l’étrangeté, la fêlure dans le marbre du réel, n’est jamais l’occasion d’une relâche. Au contraire, les textes étranges dans lesquels nous sommes en confiance ne sont que des textes hypocrites.

Journée gâchée par ma flemme. Aujourd’hui j’ai été occupé en permanence, mais je n’ai rien fait. J’ai déguisé mon désoeuvrement. Et voilà donc : je ne sais plus rien faire, c’est-à-dire rien faire de manière absolue. Désormais, il faut toujours que je dépose un voile d’activité inutile pour masquer mon inactivité.

Ce qu’il faudrait faire : chaque jour, durant dix ou vingt minutes — une heure pourquoi pas ! — revenir à l’état d’adolescence où je pouvais n’être qu’un esprit dans l’air, et ne fixer qu’un mur blanc.

Impossible de maintenir la position de travail. Fatigue nerveuse et sentiment d’à-quoi-bon. Tout ce travail ne sert à rien. Je m’abrutis devant des vidéos d’échecs.

Je rechigne à abandonner ce début de travail sur les déchets et la décharge du viaduc d’Argenteuil. Je dispose d’un faisceau d’indices, j’ai un désir (mou), mais tout est en désordre, sans hiérarchie. En somme, j’ai les indices mais toujours pas d’idée.

Confinement. Cas d’école sémantique. On remarque souvent l’efficacité des discours d’Etat et médiatiques quant à l’art de vider les mots de leur substance. Aujourd’hui, « confinement » ne veut plus rien dire. Par nécessité politique, il ne peut même plus signifier ce qu’il devrait, à savoir : être contraint de rester à l’intérieur. Les autorités disent le confinement, mais nous encouragent en même temps à sortir. La mesure symbolique, destinée à faire comprendre à l’opinion que l’heure est grave et qu’il ne faut plus badiner est en contradiction avec l’effectivité des mesures. « Mal nommer les choses », etc., etc.

Longue conversation avec A. cet après midi. N’avons parlé presque que de moi. J’ai voulu dire combien je pédale dans la semoule, ces derniers temps, comment je n’ai plus aucune idée, sur rien.

Même ma parole, je le remarque, ne vient plus comme auparavant. J’ouvre la bouche sans savoir ce que je voulais dire, et, puisque je vais faire un blanc, je finis par choisir un mot dans la panique, qui n’est jamais le bon.

A. me convainc de deux choses : tailler à la hache dans la N.A. pour donner, à chaque page, l’envie au lecteur d’aller à la suivante — je le perds sans cesse de vue. La seconde : dans l’intervalle, avant de reprendre, il faut absolument trouver du travail.

Etonné de constater à quel point Macbeth et Hamlet diffèrent. Dans Macbeth, la confusion du néant règne. Les réponses n’ont souvent pas de rapport avec les questions, l’asyndète est partout, le mal croît et s’impose par la brume.

Dans Hamlet, c’est autre chose. Il y a une distinction aristocratique de la parole, qui, à première vue, est toujours limpide. Les répliques d’Hamlet ne souffrent d’aucune ambiguïté logique. Bien sûr, un double, un triple langage parcourt la pièce, mais il ne parvient qu’après effort d’analyse : les brumes, la folie sont là, tapies sous le faste de la royauté.

La petite A. régresse de jour en jour et je ne sais qu’y faire. Il y a trois mois, elle savait former des phrases simples et devinait la syntaxe de la phrase complexe. Aujourd’hui, elle n’écrit plus rien qui ait un sens…

20km de course pour établir un premier temps : 1h37. Je devrais passer sous les 1h35. Mais le reste de la journée sans force. Ai préparé une sorte de soupe aux épinards.

Revu Max et les ferrailleurs, mais toujours désoeuvré. Le film me renvoie à mes images mentales de décharge, déchets, détritus — le sale qu’on ne veut surtout pas voir.

23h30 et je termine la préparation des cours pour demain — qui ne ressemblent pas à grand-chose. Encore l’impression de perdre du temps, mais c’est une impression trompeuse. Plus rien à écrire, plus d’activité, rien à faire de mieux que bâcler des cours. J’aimerais croire que quelque chose germe en moi en ce moment de désoeuvrement, mais c’est un autre leurre. J’ai le ventre tout à fait vide, je pourrais passer le reste de ma vie sans broncher davantage, à pisser du cours upe2a.

Depuis une semaine ou deux, le cuir chevelu me démange. Autrement dit — dirait un freudien — je me gratte la tête. Mais je me gratte tant la tête que la partie avant gauche de mon crâne commence à se dégarnir et je suis forcé de rabattre des cheveux pour cacher la misère.