Visite de la galerie Art Factory. Est-ce que j’étais déjà entré dans une galerie d’art seulement pour apprécier les oeuvres ? Je pensais que ces endroits étaient réservés aux seuls gens riches, et qu’il était impoli d’entrer si l’on ne pouvait pas acheter. J’y découvre Pierre La Police : slogans absurdes, dessins grotesques, mais dont l’inquiétude sourde, parfois, m’interpelle.
Autour de moi, toute la journée, une sorte de tristesse globale et superficielle. Tout le temps que je perds en futilités : cette discussion inutile ; cette réunion de profs inutile(s) ; ces trajets inutiles pour aller à des galeries où je fais semblant de comprendre quelque chose. C’est cela ma vie désormais. Je perds mon temps et je n’ai plus rien d’artistique.
Réunion (inutile), donc, pour re-définir un projet d’établissement. Surprise de découvrir qu’il y avait un projet et qu’il y en aura un nouveau ; qu’il y avait et il y aura des principes, un pilotage des forces vives de l’établissement basé sur des principes pédagogiques collégialement définis, excédant la seule gestion à la petite semaine. — Surprise, oui, nous sommes saufs.
Je voulais argumenter pour les upe2a, mais, ne souhaitant interrompre personne, j’ai tant attendu que je n’ai pu obtenir que trente secondes d’attention dans un brouhaha de fin de réunion.
Avant-hier, M. m’a montré les proportions pour dessiner un portrait. Je découvre que la forme, si changeante, si mystérieuse du visage n’est qu’un amas d’ovales se chevauchant. J’aimerais apprendre à dessiner en quelques coups de crayon, ce serait un autre moyen de faire des repérages.
Vu J. et sa tête qui ne marque pas d’âge. Je lui dis la sensation que j’ai, ces dernières semaines, de me rabougrir dans ma solitude mentale.
Échecs. En partie par correspondance, je suis en passe de passer la barre des 1400 points elo. C’est faible, mais c’est une fierté tout de même. Je n’étais pas prévu, génétiquement et socialement, pour être ne serait-ce qu’un honnête joueur d’échecs. En partie par correspondance, j’ai tout le temps qu’il faut pour réfléchir. Mon plaisir, c’est moins la gagne que d’envisager la totalité des problèmes et des tensions, pour trouver le coup parfait. Là, ce n’est pas comme dans la vie : par correspondance, aucun problème sur l’échiquier qui soit insoluble.
N.A. Pourquoi faut-il donc que je choisisse les derniers moments pour modifier, sans trop y réfléchir, des titres de chapitre ou les premières phrases ? Je les ai sous les yeux depuis trois ans, mais je choisis le moment où j’y vois le moins clair, juste avant d’envoyer le manuscrit, pour faire les modifications les plus voyantes, celles qui compteront le plus pour les premiers lecteurs du texte.
La Cravate, que j’avais loupé au cinéma. Ce n’est pas tant les arrière-cuisines du FN qui sont montrées ici, ou celles de la politique en général, que le portrait complexe d’un homme dans lequel, sans doute, tous ceux qui ont grandi un peu à l’écart peuvent se reconnaitre. À la fin, il demande : « alors, je suis un connard ? » — mais ce n’est pas la bonne question. Je comprends qu’un type qui a projeté d’ouvrir le feu dans son lycée, frayé avec les skins et milité au Front n’est peut-être pas si éloigné de moi. — « alors, est-ce que je suis comme vous ? », serait la question finale.
Ai raté la soirée pour ne rien faire. Une fois de plus, j’ai planté G. et L. Et ça ne s’arrange pas en vieillissant. J’ai peur de me présenter aux autres — et puis les autres, le plus souvent, ne m’intéressent pas. Je ne me l’étais encore jamais avoué avec autant de clarté. Tout est dit de ma fermeture.
Vu A. cet après-midi. Je tâche de lui parler avec détachement du manuscrit de la N.A. Il me raconte l’histoire de son manuscrit à lui, qui n’était pas arrivé à G. à la suite d’une erreur de mail. La vérité — je ne la lui dis pas –, c’est que je sens ce vide, que j’ai déjà connu, qui m’effraye, de ne plus savoir quoi faire à présent. Il me reste les cours et les copies, l’existence grise du professeur, mais rien qui me procure la joie malsaine et masochiste du travail pour rien, gigantesque, après m’être bien assuré qu’il ne finirait jamais. Car ce travail insensé et absurde de fourmi est le seul qui me fait m’affronter au monde.
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