Dans Le Banquet annuel de la confrérie des fossoyeurs, la première partie (assez mal fichue, je trouve) est constituée du journal d’un thésard. Dedans, chaque mention d’une marque commerciale est suivie du sigle trademark. Deux explications : soit Énard singe la rigueur obsessionnelle d’un apprenti ethnologue — subtile caricature ? ; soit, moins probable, c’est le service juridique d’Actes Sud qui a imposé le trademark pour se prémunir de tout procès. (Pour rire, j’imagine trois cravatés trentenaires envoyant des mails cordiaux à Énard, pour lui signaler les risques juridiques)

Au milieu de la première saison de Killing Eve, il y a cette scène étrange : Eve est à un abribus dont la paroi de verre est fêlée sur quelques centimètres. Elle pose son doigt sur la fêlure, d’abord pour l’éprouver, puis elle appuie, appuie encore, mais la paroi ne cède pas. Enfin, elle s’abandonne et défonce la cloison d’un grand coup d’épaule. Le verre se brise et, surprise, Eve se débat autant avec les morceaux de verres éparpillés dans ses cheveux qu’avec les doutes qui soudain la submergent.

Dévitalisé. Je n’ai plus rien à dire qui en vaut la peine, à personne, même pas à ce journal. Je suis mou et flasque ; les choses n’ont plus pour moi qu’une valeur relative. J’imagine que c’est le dernier effort que je fournis pour la N.A. qui me rend aussi inintéressant à moi-même et aux autres.

Habitacles : « n’oublie jamais que, comme tous tes projets peuvent être, sont, et seront toujours anéantis, il te faut n’en concevoir aucun. »

Au Trocadéro, rassemblement contre la loi Sécurité Globale — et leur marketing caricatural s’étend même aux noms des lois.

Beaucoup de monde, d’âges et de professions très divers — mais CSP ou enfants de, pour la majorité. La foule est grossièrement divisée en trois grands groupes immédiatement reconnaissables : les étudiants, gros sweat, keffieh et cigarettes roulées ; les profs, à l’air d’étudiants amoindris, souhaitant rappeler qu’en leur temps eux aussi avaient été révolutionnaires ; les salariés et militants de toutes obédiences, massés autour des camionnettes syndicales, et se faisant, je crois, royalement chier.

Sommes restés sans bouger sur la place, ce qui accentuait mon impression d’à quoi bon. Nous aurions pu être cent fois plus nombreux, crier cent fois plus fort, argumenter cent fois mieux, ce n’était pas cela qui allait faire bouger les politiques. Impression que la voix de la foule ne porte plus.

Le système politique est à présent un organisme armé pour résister à sa population. Sa peau est ferme, c’est une barrière robuste contre toutes les agressions extérieures. Ce qu’il faut, ce qui marche, c’est inoculer, via un groupe de pression qui agirait comme un vaccin, l’idée à l’intérieur du système politique. En l’occurrence, je pense que l’article 24 ne tiendra pas, car les lobbys des journalistes sont assez puissants pour faire reculer le gouvernement. En nous rassemblant, nous sacrifions seulement à une sorte de rituel démocratique dont même la charge symbolique est émoussée. — Et pourtant, que reste-t-il à la foule quand elle ne peut pas inoculer ?