Deux jours à Orléans, chez M., prélude au trip – et comment dire autrement que : je me tape un trip ? M. change mais reste le même, et nos comportements l’un vis-à-vis de l’autre, petites habitudes, demeurent sertis depuis la fac dans le métal de nos existences. Atmosphère débraillée, bordélique et délicieuse d’enfance en continu.

 


 

Dernière soirée à Orléans, et la chouffe de deux heures était-elle bien nécéssaire ? Puis départ ce matin pour Auxerre. Tout le trajet sur les petites routes, à travers les villages inconnus où j’hésite chaque fois à m’arrêter, car le pare-brise de la Panda dresse entre moi et les lieux comme une grande toile imperméable, coupant toutes les connexions, empêchant toute résonance. En voyage, le problème de la voiture n’est pas la vitesse, c’est l’habitacle. Passé devant la centrale de Dampierre ; impressionnants volcans de béton posés sur pilotis. Puis camping d’Auxerre, berges de l’Yonne. Ville sous estimée – décide d’y rester vingt-quatre heures supplémentaires.

 


 

Matin footing sur les bords de l’Yonne, et un peu de Crash ! Quelques souvenirs du film de Cronenberg, mais le texte est finalement décevant, avec répétition du même motif jusqu’à marre : aliénation du désir par la civilisation automobile, puis l’inverse, etc. Après-midi dans un bar du centre pour décider enfin la progression de Manitoba. Travail en longueur et efficace malgré la chaleur accablante. Ce soir bivouac le long du chemin de Saint Jacques ; puces d’eau, libellules et ronds dans l’eau, cette solitude bienveillante qui s’élargit autant qu’elle veut.

 


 

Morvan. Tour de la vallée de la Cure. Sur le chemin, par hasard, je fais la connaissance de S. qui randonne tout seul comme moi. Conducteur de RER E, taoïste, pratique le kung-fu – il précise d’ailleurs que kung-fu en soi ne veut rien dire. Belle conversation à propos de spiritualité – car peut-on en être absolument dépourvu ? Puis, vagabondant autour du mot initiation, S. me fait comprendre que c’est une certaine forme de transcendance (de spiritualité ?) que je veux évidemment transmettre à mes élèves. Nous nous quittons après six heures de marche commune, surpris de ce que, par l’effort et l’évidence des vallons forestiers, il est possible de se livrer totalement à un inconnu. Ce soir, nuit à la belle étoile en bordure de champ.

 


 

Dijon. Ville ample, bourgeoise – j’ai pensé : hypocrite. Trop de monde, de terrasses et d’appareils photo. Tout à l’heure, au bar, une fille porte un tee-shirt : « never waste talent ». Puis cinéma, Top Gun à 14,50€ la séance – ce mystère de la désaffection du public pour les salles de ciné.

 


 

Tôt matin quitté Dijon. Son camping est bondé, limite sordide, campingcaristes (mot le plus laid du monde) s’entassant les uns sur les autres pour quelques mètres carrés de pelouse flasque. Je remonte vers le nord. Deux magnifiques heures au soleil, parfaitement écloses, sur les routes de la Côte d’Or désertiques, minuscules et enchevêtrées. Le paysage français est pour toujours, uniformément, ni tout à fait le même ni tout à fait un autre. Mêmes nuances et étagement, mêmes courbes des vaux, douceur endormante. Arrêt à Chaumont – trouve un bar pour y travailler un peu, puis bivouac au bord de la rivière. Avant la nuit, j’entame le livre de J.B. qui me convainc qu’il faut, dès cette année, se plonger dans les textes des grands didacticiens et pédagogues : pas de la branlette, comme j’ai pu le penser parfois, mais des outils précieux pour savoir ce que je fais précisément quand je tâche d’enseigner, et les élèves quand ils tâchent d’apprendre ou de ne pas.

 


 

Arceau de la tente brisé en pleine nuit. Rafistolage de fortune avec un bout de fil de pêche trouvé sur le chemin. De tous les matériels de randonnée critiques, c’est la tente (toutes marques confondues, à l’exclusion du très haut de gamme) qui possède le plus mauvais rapport qualité-prix. Ma petite Ferrino achetée à prix d’or, j’ai passé au mieux trente nuits dedans et déjà la moustiquaire se découd et l’arceau est cassé. Mes autres tentes, c’était pareil. Bien sûr, on peut conserver une tente des années, mais si on ramène l’investissement au nombre d’utilisation, on est toujours déçu. Les sacs de marche, en revanche, c’est l’inverse. Un bon sac tient dix ans, mais l’utilisation qu’on en fait, et les épreuves auxquelles il est soumis (abrasion, portage, chocs, poussière, etc.) n’ont rien à voir. Depuis le temps qu’on dort dehors (milieu XIXème environ), étonnant qu’on n’ait pas encore conçu des habitacles plus convaincants. Pour le reste, trente kilomètres de marche autour du canal de Bourgogne. Champs ocres à perte de vue et ballet des moissonneuses.

 


 

Quitté Chaumont (plus précisément, Choignes) après footing revigorant. Intention de bivouaquer ce soir à Nemours, puis dans le Perche, avant retour à Pontivy. Mais à 16h, il faisait 41° degré à Nemours. Subitement, idée que mon trip marginal (ou mineur – car je ne sais toujours pas comment appeler ces petites expéditions) est terminé et qu’il faut rentrer. Alors droit par les petites routes jusqu’à la forêt de Rambouillet pour dresser tente, avant retour demain avec une journée d’avance.