En dehors des exercices de pure forme à l’université, je n’ai encore jamais travaillé sur qui que ce soit. J’imagine le travailler sur comme une tauromachie, un duel, corps-à-corps inégal avec l’auteur, et inégal ici précisément parce qu’il est mort et que je suis vivant. L’avantage est décisif en apparence, mais l’autre, il a son génie pour lui.

Travailler sur Faulkner. Ou même, le travailler tout court. Le travailler et, dans le même mouvement, oser une forme de mise à nu, au minimum d’honnêteté – moi lecteur de Faulkner – car il n’y a que cela qui vaille. Surtout pas inventer la roue une seconde fois, pas l’ambition de la moindre nouveauté. Au pire, une synthèse de ce qui s’est écrit sur lui. Seule traverse envisagée : que cela puisse être Faulkner ayant été lu par moi, ou même, en cas de magie : Faulkner lisant dans moi.

L’idée d’un travailler Faulkner m’est venue il y a un mois ou deux, en découvrant Si je t’oublie, Jérusalem. Depuis plusieurs années c'est un auteur majeur, pour moi, mais j'ai compris qu'alors je devais prendre le taureau par les cornes. M'y filer. Car il se passe dans chacun de ses livres (j’insiste), dans chaque phrase ou presque, une chose très étrange que je situe exactement à l’intersection des flux de lecture, à l’endroit du va-et-vient des yeux au texte : un déraillement, et ça ne se passe jamais comme prévu. De tous, il est le seul à imposer cette opération mystérieuse et parfois effrayante, qui fait vaciller, hésiter – qu’est-ce qui se passe ? – dont nous avons tous fait l’expérience, et qui parfois nous a donné l’impression, pour reprendre l’expression de Flannery O’Connor, d’être, lisant Faulkner, comme allongé sur une voie de chemin de fer au passage du Dixie Express.

Voilà ma Faulkner ascendance. Un mécanisme est enclenché malgré moi, au-dessus de moi, dont je ne comprends pas les causes et les effets, qui influence, dirige, depuis longtemps ma vie de lecteur et d’auteur. Je veux savoir pourquoi.