Ai pris sur moi hier – deux derniers envois pour la N.A. Dernière chance. Puisque, à n’en pas douter, ces deux envois prendront en pleine tronche le même mur de béton que les autres, il faudra que je trouve un moyen de faire exister ce texte par moi-même : le reprendre un peu, concevoir une maquette puis la faire imprimer – qu’il existe envers et contre tout.

Tár, au cinéma. Drôle de truc inconsistant. Bon film, c’est-à-dire que tout y est, mais ça ne fonctionne pas, ou, plus précisément, les scènes du film ne fonctionnent pas ensemble. Je me demande pourquoi ce film existe plutôt qu’un autre – c’est aussi ce qu’on dit souvent des bouquins, pourquoi celui-là plutôt que le mien ? Mais une révélation tout de même, un enjeu crucial de ce film : il me faut absolument un métronome dans le bureau.


Une heure ou deux ce matin à écumer le bon coin pour y trouver un métronome, du genre ouvragé bois, un peu servi mais pas trop, du genre qui fait clic et qui est beau même quand il ne le fait pas.

Écoulé toute la todo du jour, sauf l’écrire.


Le petit L., encore très gosse, tête toute ronde et deux yeux comme la pleine lune, je l’ai vu dans les couloirs avec S. – elle très discrète, terriblement mystérieuse, on ne sait jamais si elle rêve trop ou pas assez ; en tout cas il est sûr que les adultes ne sont pas de son monde –, ils se tenaient par la main tels qu’en eux-mêmes, de manière enfantine, la paume dans la paume, chahutaient et s’agrippaient tendrement par les épaules. Ils avaient, de toute évidence, une confiance inébranlable dans le présent.


Encore grève au bahut, à cause du principal qui colle une procédure disciplinaire à la CPE pour un motif relativement débile. Alors pancartes et mégaphones, la majorité des collègues (exeptés moi et une poignée d’autres) à faire le pied de grue devant le rectorat. Depuis la reprise de janvier, les élèves auront rarement eu une semaine entière de cours. E. dit : nous les profs, on est vraiment des babtous fragiles.

Ensuite, M. m’explique avoir sciemment menacé R. avec un pistolet à billes pour être convoqué en conseil de discipline et pouvoir se barrer enfin de cet enfer.

Fin des candidatures : j’aurai postulé pour trente pays.


Grosse séance, sans doute trop : 2x2000 cible + 1000 cible + 40 minutes footing – m’a laissée assommé pour le reste de la journée. Pas écrit, rien, quelques pages du roman de G. comateux dans le canapé.


Entretien avec le proviseur du lycée d’A. Type désagréable, à la limite du méprisant, du genre à rappeler que je ne suis que certifié et qu’il s’en fiche pas mal que, dans ma vie, j’aie fait un peu de tourisme.

Douleurs à la plante de pieds.


Le métronome est arrivé hier – complètement déséquilibré, et un drôle de double clic au moment du clic. Une putain de mauvaise affaire. A. m’offre l’Empire des signes. J’essaye d’expliquer à mes cinquièmes pourquoi « l’Ennemi » est un de mes sonnets préférés.


Parfois – souvent – je m’agace d’être à court d’idées. Non. C’est plutôt que les idées qui me viennent sont inexploitables. Longtemps, j’ai crû qu’il fallait laisser les idées mûrir durant des jours, des semaines ou des mois, pour qu’elles épousent lentement la forme de mon texte. À présent, je commence à penser l’inverse : si l’idée ne vient pas immédiatement accolée au texte, alors le texte est mort avant d’être né, et attendre ne changera pas grand-chose à l’affaire.

Ce soir, j’ai pensé à un grand bestiaire, iguanes et chimpanzés dans les couloirs et dans la cour.