F. me raconte l’histoire d’un ami qui, en excursion au Machu Picchu, se fait braquer de tout ce qu’il possède. Un Péruvien lui vient en aide, lui offre l’hospitalité et l’héberge durant des mois. Il finit par rentrer en France.

Trente ans plus tard, il repart au Pérou. Armé de la seule photographie de lui qu’ils avaient prise à l’époque, il fait du porte-à-porte à Lima pour retrouver son bienfaiteur. Au bout de quelques semaines d’une recherche inlassable, il retrouve sa trace. Très vite, comme si trente ans étaient une parenthèse, ils redeviennent amis. Au moment de repartir, il lui remet une enveloppe pleine de billets pour rembourser les frais d’hébergement trente ans plus tôt.


Les journées de cours ne s’achèvent plus jamais. Quoi raconter encore aux élèves ? J’aurais pu, j’aurais dû dire au revoir à certains d’entre eux, mais j’ai préféré éviter le grand moment des justifications. P., J., P., M., C., ils vont me manquer et je crois que je n’ai pas le droit de le leur dire. Eux, au moins, m’ont redonné confiance en l’instinct d’apprendre.

B., chez Bidoche. Quelque chose de spectaculairement adolescent, tactile, lorsque nous sommes réunis. Il faut toujours qu’on s’arrange pour se tâter les biceps et le bide.


Onde de Coop, festi des coopératives. Idée que le modèle coopératif propose une alternative au capitalisme établi. Mais quand j’arrive sur les lieux – Pantin, Cité Fertile – je suis déjà en décalage et tout m’agace. Ne parlent déjà plus que mon cynisme et ma mauvaise foi – impossible de réfléchir calmement. Juste une bande de bobos douillets qui s’imaginent changer le monde à l’abri de toute violence. Mais en même temps, je me désole de me réfugier derrière ce réflexe puéril, qui me protège à mon tour de tout enthousiasme, donc de tout fourvoiement. C’est ce cynisme-là qui m’empêche de me frotter à ce qui est étranger ; et c’est moi soudain qui deviens trop douillet.

Ensuite, à l’appartement, mon désir d’ordre et de rangement surpasse de beaucoup celui de B. Ce n’est pas que je sois pressé de me sentir chez moi ; c’est plutôt qu’en rangeant les cartons, en branchant tout ce qui peut être branché, je m’occupe l’esprit pour ne pas revenir trop vite à mes grandes impasses.


Onde de Coop, jour 2. Un comédien joue, récite, les 1336 jours de lutte des Fralibs. Le procédé me rappelle Daewoo : paroles d’ouvriers proposées verbatim, et le travail de l’auteur devient un montage.

Premier footing aux Buttes : là je sens l’enclave ouatée. Cent joggers dans la quiétude d’un matin de juin.


Réunion éprouvante avec le père d’I. et M. À l’évocation de sa fille décédée, il a fondu en larmes devant ses enfants. Il demandait de l’aide, un peu de sous, un logement pour sa famille. Sa vie en France est une urgence et tourne au drame. Il nous explique que tous ses interlocuteurs (pour les bourses, le logement) lui répondent qu’ils vont essayer mais que ce n’est pas de leur ressort. Nous lui répondons exactement la même chose. Lui et sa famille sont pris au piège du siphon administratif. Les yeux rouges, à la fin.

Plus tard, dans l’après-midi, début du recueil Philosophie de la marche. Malgré quelques références intéressantes (Whitman), le texte de Tesson est caricatural au possible. La marche pour contrecarrer les méchantes technologies qui nous coupent de la nature vivifiante…

Un texte de Martine Segalen m’invite à approfondir la distinction – qui n’est pas si radicale – entre la marche et la course. Jogging. Marche nordique. Trail. Running. Trekking. Randonnée. Etc.

Et je me souviens de la fille du père d’I., déjà fantôme avant sa mort – voilée, statue, quelque chose en elle stupéfaite, déjà dépossédée. J’ai appris qu’elle avait laissé au pays son mari et son enfant.