Plus complexe qu'il ne semble, ce Monde de la fin du monde est, en premier lieu, un roman d'initiation : découvrir le monde des pêcheurs de la Terre de Feu. Mais le texte finit par se retourner en son milieu, pour devenir enquête-témoignage-manifeste de la lutte contre la pêche illégale à la baleine. Greenpeace, des journalistes, un bateau fantôme japonnais – et on tire le fil d'une bobine façon thriller. L'extrait se situe au premier tiers du roman : le tout jeune narrateur, enivré par sa lecture de Moby Dick, rencontre deux marins dans une pension afin de se faire embaucher sur un baleinier. (Pour ma part, quelques difficultés à traduire cette langue, dont les phrases ne tiennent parfois qu'à un fil, usage aléatoire de la ponctuation et saillies poétiques difficiles à intégrer à l'ensemble). Mais grand plaisir à m'attaquer à ce qu'est d'abord ce texte avant qu'il bifurque : voyage et aventure ; terres fuegiennes, îles sans nombre aux marins indéchiffrables qui se laisseront bien tenter, ou non, par le récit d'un roman.

La mujer llegó con el pedido y tuve otra inolvidable primera vez en ese viaje. Probé el zumo dulcísimo de las manzanas fueguinas, frutos pequeños, de piel dura para proteger la blanca pulpa de los mordiscos crueles de los vientos polares. Manzanos plantados por emigrantes de quién sabe dónde, de frutos feos con su coloración café desteñido, pero de sabor inigualable.

—Salucita —dijo el acompañante levantando su vaso. Se llamaba don Pancho Armendia y era socio, compadre, segundo de a bordo, arponero y el mejor amigo del Vasco.

Los hombres empezaron a dar cuenta de dos medias piernas de cordero, y me sentía incómodo con el vaso en la mano, bebiendo a sorbitos la chicha de manzanas.

—Así que me lo manda don Félix. Mire. ¿y qué se le ofrece, paisanito?

Esa era la pregunta. Desde antes de salir de Santiago tenía preparado el discurso que pensaba soltarle al primer ballenero que encontrara, pero, sentado allí, frente a los dos hombres que comían en silencio, no encontraba las palabras.

—Que me lleven con ustedes. Por un tiempo corto. Por un viaje nada más.

El Vasco y don Pancho se miraron.

—Lo que hacemos no es juego, paisanito. Es trabajo duro. Y más que duro a veces.

—Lo sé. Tengo experiencia en la mar. Bueno. No mucha.

—¿y cuántos años tiene, si se puede saber?

—Dieciséis. Pero voy para los diecisiete.

—Mire. ¿y no va a la escuela?

—Sí. Estoy aquí aprovechando las vacaciones de verano.

—Mire. ¿y de dónde tiene experiencia?

—Navegué en el Estrella del Sur. Bueno. Hice el viaje como pinche de cocina entre Puerto Montt y Punta Arenas.

—Mire. Así que conoce al polaco.

—¿Al capitán Brandovic? Creo que su apellido es yugoslavo.

—A todos los que se llaman terminados en «ki» o en «ich» les decimos polacos por acá —me informó don Pancho.

La conversación, si es que cabe darle tal nombre, siguió en un tono que me pareció desganado y sin futuro. Veía esfumarse mis ilusiones mientras los dos hombres comían y cada cierto tiempo formulaban una nueva pregunta. Empecé a odiar los «mire» que don Antonio Garaicochea soltaba como una ineludible muletilla. En eso entró un grupo de hombres al local. Eran los mismos que viera antes entregados al calafate, y con sus voces amistosas empezaron a disputarme la atención del Vasco y de don Pancho.

—¿y qué sabe hacer, paisanito?

Esa era otra doña pregunta. En realidad no sabía hacer mucho.

—Sé cocinar. Bueno. Un poco.

—Mire. Así que sabe cocinar.

El Vasco no me creía, y yo rogaba que no me pidiera los detalles de la preparación de algún plato. Don Pancho limpió el hueso de cordero con la punta del cuchillo y me hizo la pregunta salvadora, que sin embargo me costó responder.

—¿y por qué quiere embarcarse en un ballenero, paisanito?

—Porque... porque... la verdad es que leí una novela. Moby Dick. ¿La conocen ustedes?

—Yo no. Y se me ocurre que el Vasco tampoco. No somos muy leídos por acá. ¿y de qué trata esa novela?

En Santiago, entre mis amigos, yo tenía fama de ser un buen «contador» de películas. Eran las cinco de la tarde cuando empecé a contar, tímidamente primero, la epopeya del capitán Ahab. Los dos hombres me escuchaban en silencio, y no sólo ellos; en las otras mesas se interrumpieron las conversaciones y poco a poco los parroquianos se acercaron a la nuestra. Narraba y luchaba con mi memoria. No podía traicionarme. Los hombres entendieron que me concentraba en lo que les refería, y sin hacer ruido me renovaron varias veces el vaso de chicha de manzanas. Hablé durante dos horas. Herman Melville habrá perdonado si aquella versión de su novela tuvo algo de mi propia cosecha, pero al terminar todos los hombres mostraban semblantes pensativos, y luego de palmotearme los hombros regresaron a sus mesas.

—Moby Dick. Mire —suspiró el Vasco.

Pidieron la cuenta. Pagaron. Tuve la amarga certeza de que hasta allí llegaba mi aventura.

—Bueno. Vamos —dijo don Pancho.

—¿yo también? ¿Me llevan?

—Claro, paisanito. Hay que aprovechar la luz para revisar los aparejos. Zarpamos mañana temprano.

La femme vint avec la commande et ce fut une autre des premières fois inoubliables de ce voyage. J’ai goûté le jus très doux des pommes fueginennes, ces petits fruits dont la peau dure protège la pulpe blanche des morsures cruelles des vents polaires. Pommiers plantés par des émigrants venus d’on ne sait où, donnant des fruits laids à la couleur café délavée, mais à la saveur inégalable.

– Santé, dit l’assistant du Basque en levant son verre. Il s’appelait don Pancho Armendia, il était l’associé, le compagnon, le second, le harponneur et le meilleur ami du Basque.

Les hommes commencèrent à faire un sort aux deux cuissots d’agneau, et je me sentais mal à l’aise avec mon verre à la main, buvant ma chicha aux pommes à petites gorgées.

– Alors c’est don Félix qui t’envoie. Tiens donc. Et qu’est-ce qu’on t’offre, petit ?

C’était toute la question. Depuis que j’avais quitté Santiago, j’avais préparé le discours que je pensais faire au premier baleinier que je rencontrerai, mais, installé là, en face de ces deux hommes qui mangeaient en silence, je ne trouvais pas les mots.

– J’aimerais que vous me preniez avec vous. Pas pour longtemps. Un seul voyage, pas plus.

Le Basque et don Pancho se regardèrent.

– Ce que nous faisons n’est pas un jeu, petit. C’est un travail difficile. Et parfois même plus que difficile.

– Je sais. J’ai de l’expérience en mer. Bon. Pas beaucoup.

– Et quel âge tu as, si on peut savoir ?

– Seize. Mais je vais sur mes dix-sept.

– Tiens donc. Et tu ne vas pas à l’école ?

– Si. Mais je profite des vacances d’été.

– Tiens donc. Et d’où elle vient ton expérience ?

– J’ai navigué sur l’Étoile du Sud. Bon. J’ai fait le voyage comme commis de cuisine entre Puerto Montt et Punta Arena.

– Tiens donc. Alors tu connais le Polonais.

– Le capitaine Brandovic ? Je crois que son nom est d’origine yougoslave.

– Tous ceux dont les noms se terminent en « ki » ou en « ich » nous les appelons Polonais par ici, me dit don Pancho.

La conversation, pour peu qu’on puisse l’appeler ainsi, continua sur un ton indifférent qui me parut sans lendemain. Je voyais partir en fumée mes illusions tandis que les deux hommes mangeaient et formulaient de temps en temps une nouvelle question. Je commençai à détester les « tiens donc » que don Antonio Garaicochea décochait comme une muleta sur le taureau. À ce moment, un groupe d’hommes entra dans le local. C’était ceux que j’avais déjà vus au calfatage, et, avec leurs voix amicales, ils commencèrent à me disputer l’attention du Basque et de don Pancho.

– Et qu’est-ce que tu sais faire, petit ?

C’était une autre grande question. En réalité je ne savais pas faire grand-chose.

– Je sais cuisiner. Bon. Un peu.

– Tiens donc. Comme ça tu sais cuisiner.

Le Basque ne me croyait pas, et je suppliais qu’il ne me demande pas de détails sur la préparation des plats. Don Pancho nettoya les os d’agneau avec la pointe du couteau et me posa la question salvatrice, néanmoins la plus difficile.

– Et pourquoi tu veux embarquer sur un baleinier, petit ?

– Parce que... Parce que... la vérité c’est que j’ai lu un roman. Moby Dick. Vous connaissez ?

– Moi non. Et je pense que le Basque non plus. On n’est pas très lecture par ici. Et il parle de quoi ce roman ?

À Santiago, parmi mes amis, j’avais la réputation d’être un bon « raconteur » de films. Il était cinq heures de l’après-midi quand j’ai commencé à réciter, timidement d’abord, l’épopée du capitaine Achab. Les deux hommes m’écoutaient en silence, et pas seulement eux ; les conversations s’interrompirent sur les autres tables et, peu à peu, les habitués se rapprochaient de la nôtre. Je racontais et luttais contre ma mémoire. Il ne fallait pas qu’elle me trahisse. Les hommes comprirent que je me concentrais sur ce que je disais, et sans faire de bruit ils remplirent plusieurs fois mon verre de chicha aux pommes. Je parlai pendant deux heures. Qu’Herman Melville me pardonne si cette version de son roman comporte certaines de mes propres inventions, mais, en terminant, tous les hommes montraient les mêmes mines pensives. Après m’avoir tapé sur l’épaule, ils retournèrent à leurs places.

Moby Dick. Tiens donc, soupira le Basque.

Ils demandèrent l’addition. Payèrent. J’eus la certitude amère que mon aventure était arrivée à son terme.

– Bon. Allons-y, dit don Pancho.

– Moi aussi ? Vous m’emmenez ?

– Bien sûr, petit. Il faut profiter de la lumière du jour pour inspecter les machines. On lève l’ancre demain matin tôt.

Mundo del fin del mundo, Luis Sepúlveda, 1989