Au collège, impression d’une armée en déroute – mais qui seraient donc les soldats, les généraux, les aides de camp et les prisonniers de guerre ? Ils se confondent.

Quatre classes sont fermées ; des dizaines d’élèves manquent à l’appel ; l’administration est, littéralement, hors service. Le comportement des élèves me conduit à penser que plus le covid est proche, moins il est réel. Les miss se font la bise le matin au portail avant de remettre consciencieusement le masque. Moi-même, je commence à prendre peur.

Conversation avec A. sous le soleil de la Villette. Sa manière d’envisager l’activité d’écrire, la façon dont il se réjouit seulement d’achever un projet ou d’en entamer un autre – sa manière simple d’être heureux me rassérène. Je veux me laisser contaminer par sa manière. Penser que faire au mieux n’est pas suffisant, mais que c’est encore le mieux.


Conseil de classe des 6e8. Vacuité de ces réunions solennelles, dont le principal enjeu est désormais de savoir si l’on va encourager, complimenter, féliciter, ou ne rien dire. Une mise en scène de notre impuissance organisée.

B. s'est demandée s’il nous ne devrions pas partir en montagne ou à la mer, n’importe, le temps de la fermeture des écoles. Par réflexe, pour ne pas prendre de risque – mais quels risques ? – j’ai refusé sans même considérer. J’imaginais que rester à Saint-Denis, c’est-à-dire à mon poste, était l’attitude la plus sensée – je pourrais écrire : morale, mais je ne crois pas que la morale y soit pour quelque chose. Mais à présent j’y réfléchis et je me demande s’il ne faudrait pas, justement, faire comme tout le monde.


J’ai répété trois ou quatre fois aux collègues : il faut que je parte sinon je vais devenir dingue. La plupart quittent la zone, et ce qui me reste d’amis aussi. Pourtant, peu de chances que je parte. Les efforts à faire pour quitter mon quotidien me semblent insurmontables. Partir, ça serait déjà perdre mon temps – renoncer à quelque chose – une défaite en rase campagne.

Et force est de constater que mon rayon d’action s’amenuise. Moins de dix kilomètres, à peine les 24m2 de l’appartement et les 50m2 de ma salle. Parfois, en même temps que l’espace, c’est la parole qui bat en retraite. La difficulté que j’ai ces derniers temps à trouver mes mots, pour finalement ne dire que les plus mal adaptés.


Depuis quelques semaines, j’ai pris l’habitude de regarder sur YouTube, au lieu des habituelles vidéos d’échecs, des scènes de chute libre. Sauts de falaise invraisemblables, vols en parapente ou en wingsuit, free climbers tapés de la tête.


Hier, dîner chez G. L. et R. sont sages-femmes. Elles décrivent des accouchements compliqués ou étonnants – un bébé à deux têtes, un col de l’utérus descendant jusqu’aux lèvres, des pertes vertes, des foetus aux malformations atroces. Elles en parlent avec froideur et détachement, de sorte que vingt-quatre heures plus tard, il ne m’en reste plus qu’un sentiment d’étrangeté fascinant. J’aimerais m’asseoir dans une salle d’accouchement, prendre des notes, faire le lien entre ce qui est de notre humanité et ce qui ne le semble pas.