Dans la revue FMR – dont je commence à trouver l’usage (égoïste) – je tombe sur ce texte intitulé Pierrot lunaire. Celle ou celui qui a écrit ça ne sait pas, c’est sûr, que Pierrot m'accompagne également, et que j’ai longtemps regardé le tableau de Watteau pour comprendre d’où vient son apesanteur et sa tristesse. Dans Pierrot lunaire, il ou elle écrit : « je regarde une photo, car je ne peux pas encore le voir, par-dessus mon épaule. J’ai l’impression que seuls ceux qui me connaissent peuvent comprendre ce que signifie pour moi ce Pierrot lunaire. »

Acheté le dernier Cosnay et Lolita.

Et puis fatigue constante tout le long du weekend ; demain reprise des cours ; je n’en peux plus de mon bordel, désorganisation permanente qui remplit de sable mon crâne où j’étouffe.


Idée d’une nouvelle sur les premiers jours au collège de C., quand elle comprend qu’elle ne sait ni lire ni écrire. Il faudrait rendre compte de cela : elle parle parfaitement le français, n’éprouve aucune difficulté pour communiquer, mais découvre qu’un autre état de la langue lui est inaccessible. À l’école, elle effleurera le continent de significations qui lui manque – mais c’est une battante, elle s’accrochera.


Comme ils disent, miskine. Rien ne fonctionne. Pour être un bon prof, je dois être celui que je ne suis pas : ferme et organisé, procédurier ; des cours qui vont en toute simplicité de A jusqu’à B.

Premier cours d’échecs ce soir. Pas grand-chose à retenir si ce n’est la petite phrase de S., passée inaperçue : ce jeu est avant tout affaire de vision. Pas du calcul, pas de l’abstraction, il s’agit avant tout de voir. Schémas, figures furtives se révélant derrière un nuage de poussière.


Le Vaisseau fantôme, à Bastille. Décors moins impressionnants que Russalka il y a deux ans. Tout de même : la scène entièrement en trompe l’oeil, faussement inclinée, et un tableau dans le tableau – technique du tableau vivant avec d’infinis jeux de filigrane. Chants exceptionnels.

Puisque le échecs sont avant tout affaire de vision, je décide de concentrer mes efforts à la résolution de problèmes. Étrange comme chez moi un mot, une simple expression, agit comme un signal et me fait davantage progresser qu’une dizaine de conseils techniques.


Ai accompli une petite moitié de l’immense todo composée pour ce weekend. Les choses n’avancent pas, mais aucune nécessité qu’elles avancent. Ma vie est parfaitement plate et commune, pourtant je la mène mentalement comme une épopée sanglante.

Échecs. Branlées monumentales contre R. Il me montre comment jouer la demi slave pour avoir enfin un coup après d4.


J’ai oublié de mentionner, vendredi dernier, la fameuse soirée Nique la Radio à laquelle A. m’avait invité. Tout le monde riait de bon coeur en écoutant les histoires de weed d’un dj dans la hype de l’underground. Pas désagréable non plus le bingo décalé (forcément), animé par deux zozos mitraillant des jeux de mots débiles à chaque nouveau chiffre. S’en est suivie l’inévitable « soirée électro », tubes merdiques de nos jeunesses repris par les beats softs d’aujourd’hui.

Au fond, je ne peux plus me mélanger à cette foule, à ces animateurs, à tout ce petit monde jeune et cool à la Villette, enfoncé dans le moelleux de la vie parisienne bourgeoise qui ne dit pas son nom. Je les déteste, mais parfois ils me ressemblent. J’essaye de comprendre ce qui m’est tant insupportable. Je sens qu’ils s’approprient des codes esthétiques et sociaux éculés, et, sous le prétexte de la distance ironique, les réactivent totalement. Voilà : par précaution et par confort, ces gens-là concourent à ce que rien de vraiment neuf et radical n’advienne.

Je me souviens encore, à ce propos, de David Foster Wallace qui disait : « l’ironie, parfois, c’est le chant d’un oiseau qui en est venu à aimer sa cage. » Des oiseaux encagés, c’est ce que sont les hipsters, bourgeois cool ou n’importe quels noms qu’on voudra bien leur donner.