Et même mes rêves sont contaminés par les idées du marketing.
Md., élève grandiose, répond à mon mail d’encouragement avec une naïveté cruelle. Elle me dit avoir apprécié mes cours, car l’ambiance était « légère » et les travaux de rédaction « pas trop longs ». On a bien glandé, quoi !
Mais bien sûr qu’elle a raison. Ce n’est pas moi qu’il lui fallait cette année, mais un maître sévère, exigeant et rigoureux, qui aurait su lui faire recommencer trois fois s’il l’avait fallu son introduction de commentaire sur Beaumarchais jusqu’à ce que plus une virgule ne dépasse, et connaître sur le bout des doigts toutes les dates de la querelle des Anciens et des Modernes.
Mais alors comment se peut-il que je sois de la moindre utilité pour des élèves brillants comme elle, dont je jalouse, pour son âge, la capacité de travail, la rigueur et la compréhension fine des choses ? A. disait l’autre fois s’être moqué de sa prof de français qui marquait le é à Perec. Et si Md. se moquait de moi pour les mêmes choses ? Il faudrait alors démissionner, rien d’autre.
Et je réalise que, si j’ai le sentiment de ne pas avancer sur la N.A., en réalité j’avance régulièrement. Le traitement de texte a généré un excel avec toutes les stats : trois ou quatre mille signe par jour en moyenne. C’est peu, mais c’est régulier. Sans doute la même proportion qu’au temps où j’écrivais les autre romans. À l’époque j’écrivais plus, mais pas aussi régulièrement. Je ne crois donc pas être beaucoup plus lent (fainéant).
Je crois aussi avoir trouvé mon titre et la fin — voilà, j’en suis à ce moment, forcément satisfaisant, où se dessine la structure définitive du texte. Les arcs narratifs trouvent une tension et leur équilibre, ils tiennent debout comme les arceaux d’une tente.
Si je me laisse du temps pour travailler cet été, je pourrais avoir terminé le gros du texte en septembre. Trois ou quatre mois de réécriture — décembre. Donc six mois pour que le manuscrit tienne la route.
Peut-être que pour parler du Désert des Tartares, il faudrait faire comme pour Kafka et se méfier à tous crins de l’interprétation métaphorique.
J’ignore si c’est une douleur qui me réveille dans la nuit, ou bien si c’est parce que je me réveille dans la nuit que j’ai mal : ventre, tête, dos, épaules. Impression que quelque chose, un accident, va arriver, alors je me refuse à dormir pour me protéger de l’accident.
Coeur bat très fort, ventre fait le mort, léger acouphène à l’oreille droite.
Mais je baigne dans mon jus depuis trop longtemps et il faut que je sorte — trouver, voilà, un oloé. Sur les berges du canal, il y a des bancs où je pourrais m’installer, à l’ombre d’un platane avec l’ordi sur les genoux.
Toujours mal au ventre, comme un morceau de papier de verre froissé en boule dans l’estomac qui résisterait à l’action des sucs digestifs.
Vu A. ce soir. Considérations politiques, puis le reste. Passons tout en revue. Il est toutefois évident que nous n’avons pas tout à fait survécu au confinement.
Encore réveillé au milieu de la nuit à cause de l’espèce de ressac permanent dans l’estomac. Balade à l’aube avec B. sur les hauteurs du parc de Ménilmontant ; nos tronches enfarinées, percluses — et c’est toujours ainsi, réalité cotonneuse, les atmosphères d’aube et de fatigue.
Revu La Jetée, fantastique travail littéraire — et qui permet de mesurer combien L’Armée des 12 singes est un excellent film. Et pourquoi ne pas reprendre le principe du roman-photo, avec Youtube et un bon micro ?
Le docteur dit que ce n’est sans doute qu’un déséquilibre de flore intestinale, et à la seconde où j’ai vu son visage rassurant, le ressac dans le ventre a cessé.
Repense à la discussion avant-hier avec A. Je lui disais la peine que j’avais à écrire si peu, et lui me répondait que ce qu’il considérait comme de l’écriture, c’est-à-dire son travail, c’était aussi des choses simples comme tenir sa correspondance, répondre aux sollicitations des réseaux, bloguer, etc. En faisant tout cela, parfois il n’avance ses travaux de fond qu’au rythme de quelques paragraphes par jour. Voilà comment il faut voir les choses !
Sans soleil. Vu deux fois de suite entre hier et aujourd’hui. C’était ça, exactement, que je voulais faire à l’origine du projet N.A., et que je ne ferai pas faute de capacités.
Le texte est un texte d’écrivain. Observation des détails et sens du cosmique. Quelques saillies humoristiques qui font mouche également.
La danse des jeunes martiens ; les chiens qui s’ébattent sur le rivage ; le regard de la Guinéenne sur le marché, et que je n’ai pas su, moi, capturer.
Et peut-être même que le texte de Sans Soleil fonctionnerait sans les images. Ça serait un récit de voyage à la Lacarrière, aux angles plus aigus encore. J’aimerais tant qu’il existe la version grecque de Sans Soleil — mais ça aurait dû être ma N.A. !
Les films de Marker me portent vers le roman-photo. Je pourrais documenter la Grèce cet été ; ou bien dès maintenant Saint-Denis — et peut-être que je le fais déjà un peu. Il faudrait procéder par juxtaposition de photos et les commenter simplement, les faire jouer, à la voix, comme Florence Delay.
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