Solaris. Impression que Tarkovski créé patiemment — trop ? — les conditions du plan époustouflant. Il doit y en avoir une dizaine dans Solaris, tous inestimables. Pour Le Sacrifice, vu l’autre soir, insupportablement chiant, le pauvre devait se sentir en bout de course. J’imagine qu’avec sa caméra il attendait la poésie, mais que, cette fois, pour la première fois, rien ne venait.
Ce qui m’agace définitivement chez Tarkovski, c’est — comment mieux dire ? — ce laisser-aller intellectuel. Dans ses films, on ne peut s’empêcher de penser dans l’éther, de brasser les grandes questions en de longues phrases définitives et d’y accoler des regards graves.
Je ne sais plus qui disait qu’il détestait quand, dans les romans, ça pense. Moi aussi, et dans les films peut-être encore plus. Je crois que les meilleures adaptations fictionnelles de sommes philosophiques opèrent par analogie et métaphore.
Quand les personnages de Solaris ne pensent pas à notre place, qu’ils se contentent d’être personnages dans une histoire, là la communion opère. L’histoire de Kris et Harey devient bouleversante, et l’océan Solaris devient enfin magnétique.
Mais vers la fin, Snout fait remarquer à Kris : « nous avons perdu le sens du cosmique. Les anciens, eux, l’avaient encore ».
« je suis à la lisière du compliqué, mais en fait c’est assez simple », me dit-on.
Un problème avec l’emploi du passé antérieur. Il s’emploie difficilement en proposition indépendante, me disent les grammaires, et je le vérifie en effet pour la N.A. Je fais tellement attention, pour ce texte, à la correction des temps verbaux, que je sacrifie tout à la mécanique, au symétrique, en oubliant la simplicité et l’instinct.
Mais j’ignore comment faire sentir l’accompli du passé simple en proposition indépendante — c’est con, pour un prof de français… ! La logique voudrait que j’emploie le passé antérieur, mais rien à faire, l’esprit butte sur la forme logique. Parfois j’élude en reformulant, ou je me contente du plus-que-parfait, mais cela me gêne presque autant.
Les grammaires me conseillent aussi d’employer des adverbes exprimant la brièveté, pour faire passer l’étrangeté du passé antérieur, mais cela alourdit l’ensemble… Grevisse me suggère de tricher en employant des formes surcomposées, oralisantes et répandues dans le sud-ouest, mais la GMF me prévient que ces formes sont généralement mal interprétées par la majorité des locuteurs du français.
Bien sûr je sais ce qu’il faut faire. Je fais mine de chercher mais je connais déjà la solution. Il faut mettre de côté mon usage mécaniste de la langue et m’en remettre à mon oreille, intuition et bon sens. Le temps verbal qui viendra sans réfléchir sera celui qui convient.
Je découvre les autres albums de Television, que je n’avais jamais pris la peine d’écouter. Cette chanson, No glamour for Willi, et puis tout Adventure.
Une partie de la journée à peaufiner, mettre en place cette idée apparue hier comme une évidence : il faut que j’enregistre ma voix. Je vais lire les petits textes des autres, ceux qui traînent aux quatre coins des internets. Bien sûr, c’est trois fois rien, mais c’est aussi tout un chantier : car mettre en scène ma voix dans l’espace d’un texte, ça serait assumer ma voix dans tout le monde restant.
C’était le milieu de la nuit et j’ai ratissé tout l’appartement. J’ai cherché le moindre briquet au fond de mes poches. Tabac, feuilles et filtres. J’ai regardé le tout, au fond de mes mains, comme si c’était de vieilles algues, et j’ai hésité encore un instant. J’ai ré-argumenté, anticipé mes réactions futures — mais le jeu en vaut-il la peine ?, mais tu ne pourrais pas te l’autoriser un peu, parfois ?, etc. Puis j’ai tout lâché dans la poubelle, secoué le sac de la poubelle afin que tout tombe au fond.
Encore un accès de fièvre en fin d’après-midi. Suis resté léthargique de dix-huit heures à une heure.
Jour un moins la clope. Impossible de me concentrer. Le choc est plus violent, je crois, que l’année dernière. Ça ne fait pas vingt-quatre heures, je sens déjà un agacement généralisé des organes. Je mâche de la gomme. De mémoire, les choses commencent à s’arranger trois ou quatre jours plus tard.
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