Le livre de Boimare répond en partie à l’une de mes grandes angoisses de professeur : qu’est-ce que je fais en classe quand je fais du français ? Bien souvent, je fais tellement de choses qu’en réalité je ne fais pas grand-chose. Boimare propose, pour sa part, d’en revenir à l’essentiel : lire des histoires et les discuter ; accompagner les enfants pour qu’ils trouvent réponse dans les textes à leurs peurs et doutes fondamentaux.


Mauvaise nuit, bis ter ou quater. À cette période de l’année, c’est toujours les mêmes nuits ; tête trop pleine d’images et de sons, et demi-souvenirs qui fulgurent.


Des quantités astronomiques d’alcool.

L’expo Munch au musée d’Orsay, malgré la foule et la gueule de bois du siècle. Fascinante découverte. Munch a répété inlassablement les mêmes motifs et les mêmes structures. Dans sa peinture sans contours, il n’y a plus de séparation entre l’interne et l’externe, entre le moi, les autres et les choses. Les êtres et les choses s’y contaminent d’angoisse latente, sourde, répandue. La puberté, avec son sac noir de psychoses, me restera longtemps.


I. est sorti de la salle sans crier gare. Je vais le chercher dans le couloir et lui demande pourquoi il a quitté mon cours. Il m’avoue son traumatisme : depuis la sixième, K. a pris l’habitude de soulever son tee-shirt en plein cours pour lui montrer sa brassière. Elle vient de recommencer.


Première page d’Yvain ou le chevalier au lion. Je leur demande : où se situe le début de ce roman ? Un élève, appliqué : « le début de ce roman se situe à la page 9. »

Soir, concert de Jane Doe au Walrus. Harmonies vocales m’emmènent assez loin. Au resto, causons musique : Freddie Mercury avait trop de dents, paraît-il. Que faisiez-vous quand vous avez appris la mort de Bowie ? – Je buvais une bière au Pouchla.


Entretien avec J. Vingt et un ans de bahut et on la traite encore comme « la petite négresse » qui ne nettoie pas assez bien les chiottes – elle y laisserait des virgules : terme technique de serpillologue pour dire trace de merde dans la cuvette.

Au ciné pour Coma, de Bonello. Vie confinée d’une ado perdue dans les rêves de l’autre – c’est Deleuze qui le dit, avec gros plan sur ses ongles immenses, puis son menton de dément. « Ne soyez jamais pris dans le rêve de l’autre ».


Soirée chez J. Cinq filles et moi. Qu’est-ce qui me prend à lancer une conversation sur les accusations qui visent Julien Bayou ? J'avance qu’il est difficile aujourd’hui pour un homme d’exprimer une nuance sur le fond de l’affaire, mais ma position est battue en brèche. On me répond : « Tu es gêné après metoo ? C’est normal. Tu es gêné comme les musulmans l’étaient après le 13 novembre ».

Bien sûr qu’il faut fermer sa gueule, parfois – et je ne crois pas être de ceux qui l’ouvrent le plus – et je ne veux pas jouer les caliméros, parce qu’il y a de bien pires injustices –, mais je m’inquiète pour notre capacité à faire corps, ensemble (je veux dire : toute la société), en nous emparant des mêmes sujets. Si je ne pouvais pas proposer qu’à mon avis nous n’avons pas à exiger des politiques qu’ils ne soient pas des connards dans la sphère intime (Bayou a peut-être été un lâche et un connard, mais ne l’avons-nous pas tous été un jour ? Et est-ce qu’être un connard dans la vie intime empêche d’être un dirigeant politique de bon niveau, avec la probité requise ? – on pourrait au moins en débattre), si je ne pouvais pas proposer ces arguments parce qu’ils seraient frappés de soupçon car prononcés par un homme, alors nous renoncerions à notre capacité de réflexion collective.