Le problème avec la peau, pense-t-il, c’est qu’on ne la fait pas en plastique. À quelque endroit qu’on regarde, il y a toujours un relief, un accident, une rougeur, un poil qui transperce et laisse d’irréversibles séquelles. Quand il s’observe dans le miroir, il remarque malgré son rasage quotidien les radicelles brunes qui empruntent les mêmes tunnels douloureux et rougeâtres que celles qui les ont précédées. Il approche sa joue du miroir et observe la zone la moins accessible, sous l’os de la mâchoire entre le cou et la joue. Il repère l’émersion d’un poil et s’agace du cratère rouge, irritant, qu’il fait dans la peau. Qu’importe que cela soit invisible si on ne regarde pas à la loupe, qu’importe que cela soit la preuve que les systèmes dermiques et pileux fonctionnent correctement. C’est un accroc, une faille, une catastrophe en devenir. Au jugé, du pouce et du majeur, il passe l’ongle sur le cratère pour trouver l’endroit précis de la naissance du mal, où sentir une résistance, un changement de matière. Quand il le localise enfin, il appuie, gratte franchement, s’évertue, mais le poil résiste malgré le sang qui suinte.

Puis, au dernier passage de l’ongle, l’homme sent une autre irrégularité, juste à côté. Un bouton rougeâtre plein de liquide blanc-brun, mélange de pus et de sébum. Il appuie de toutes ses forces à la base de la petite poche, mais rien ne coule qu’une grosse goutte de sang. La peau n’est jamais de plastique, ça l'énerve, il appuie, gratte, frotte, insère l’ongle dans toute la zone qui s’est agrandie de quelques centimètres. À chaque fois que l’ongle racle la plaie à vif, il souffre – mais il sait que tout ça, c’est dans l’intérêt supérieur de sa peau. Ce qu’il veut, c’est extraire du champ de bataille un lambeau de poil, de peau, une giclée de sébum. Des trophées. Il y passe des heures, toute la journée et peut-être la nuit, offrant son visage à sa fureur. Enfin il glisse dans la mare de sang à ses pieds et regarde son beau visage, lisse dans le reflet du carrelage.

Pas de progrès pour Obi et mon vide intérieur. Ordinateur, curseur clignotant, début de paragraphe mais quoi ? Quatre jours que ça dure. Ce soir ça me dégoûte.


G. dans un de ces endroits où boire deux petits verres coûte seize balles. Méthode pour écrire sans se relire.

Obi s’est débloqué sans grande idée. Je crois que je n’avais pas besoin d’idée – elle était là mais privée de carburant –, ni de corriger une erreur de narration, pas besoin non plus d’un de ces mots par lesquels tout s’éclaire. C’est par un bougé imperceptible de structure, une coïncidence d’état d’esprit, de rythme et de perspective que les mots ont recommencé de s’entraîner les uns avec les autres.


Pour le Guatemala, je passe une Exploration Fonctionnelle Respiratoire. Soit souffler dans une machine, donc. Je souffle dans la machine, attentif aux ordres du machiniste, et regarde en même temps les courbes brouillées, montantes et descendantes, parfois s’enroulant sur elles-mêmes, qui s’affichent sur l’écran. Il trouve tout ça dans mon air, le machiniste ?


Footing 23km sous le premier cagnard de l’année, coup de chaud à la fin. Le soir, Rien à foutre, avec Adèle E., filmé à l’iphone, juste morceaux d’une vie banale éclatée. Ce qui m’étonne le plus, je crois, dans les films, c’est lorsque l’image semble exactement la vie. Lorsque je vois un verre à dents dans un film et que je le perçois de la même manière dans la vie réelle. Et pas grave si le film ne raconte pas grand-chose, il me montre ce que je vois, c’est tout, et rien à foutre justement. Adèle E. mâche des chewing-gums comme personne.


Jeudi fin du dernier cours, I. et A. viennent me voir : « Monsieur est-ce qu’on ne pourrait pas faire autre chose que des textes ? » Elles ne se doutent pas de ce que leur question enfantine fracasse en moi. Je ne sais toujours pas, à quelques ornements dilatoires près, ce qu’est un cours de français, si ce n’est lire un texte, en causer, répondre à des questions en-faisant-des-phrases-entières. Il me manque la tournure d’esprit pour imaginer des activités moins rébarbatives.

Passé l’après-midi à préparer mes cours pour demain et après-demain, en essayant justement de proposer autre chose. Rien n’est venu, à quelques ornements dilatoires près. Ma tournure d’esprit est naturellement sèche.