Peut-être que pour parler du Désert, il faudrait faire comme pour Kafka et se méfier à tous crins de l’interprétation métaphorique. Il se serait réducteur de faire du fort, ou de l’armée ennemie, une métaphore. Le fort n’est pas une ruse de langage pour dire le temps, l’existence ou l’ennui.
Si le fort est appelé fort, alors il faut le prendre pour un fort ; et plus il sera un fort dans notre esprit, plus sa charge poétique sera puissante.
On ignore pourquoi Giovanni choisit de rester dans le fort, mais l’être secret et sauvage tapi au fond de nous comprend ce choix.
Au début du roman, Drogo ne semble pas rester pour la promesse incertaine de la bataille, mais parce que le fort et le désert — qui, finalement, ne font qu’un — le fascinent jusqu’à l’oubli de lui-même. À la fin, en réalité, il se ment à lui-même quand, sur son lit de mort, il se désole de ne pouvoir participer au combat.
C’est plutôt par faiblesse, pour un certain amour du sublime, que Drogo a choisi de perdre sa vie à ne rien faire. Il a choisi de se laisser dissoudre dans le fort et dans le désert, qui sont sans doute parmi les choses les plus fascinantes qu’une âme soldate puisse expérimenter. Il faut donc voir dans Le Désert davantage un accomplissement mal assumé qu’un sacrifice.
Le Désert des Tartares, Dino Buzzati, éd. Robert Lafond, 1949
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