Puisque je ne vais pas m’éterniser ici, je me dépêche de découvrir le reste de la région. Aujourd’hui, Monemvassia. Un bus m’y a conduit de Sparte à presque midi ; j’étais de mauvaise humeur, les soucis de la vie quotidienne revenaient m’ennuyer même dans le silence du Taygète — des cafards, un vélo sans pédale et des indemnités à ne pas oublier de percevoir — et puis les doutes, je suppose, inhérents au voyage solitaire : impression de passer à côté de l’essentiel ; est-ce que je voyage bien ?

J’apprends à apprécier le système grec de transport par bus. On y voit toutes sortes de gens, on y traverse les grosses gares comme les petits villages, où le temps semble s’être arrêté comme sous le coup d’une loi de bon sens. Mon bus pour Monemvassia faisait également le ramassage scolaire, alors le voyage a duré deux heures et demie pour quatre-vingts kilomètres, mais ces lieux perdus, ces enfants turbulents chargés de toute la vie d’ici, qu’on découvre, et puis ces paysages qui s’assèchent à mesure qu’on approche la côte, des orangers, des eucalyptus, des oliviers, partout au long de la route qui serpente entre les plaines et les monts — on y est.

Et puis une trouée dans la montagne, et, malgré le soleil en face, c’est la mer Égée qui aveugle, blanche, à peine bleue, si fraiche en apparence. À droite, dans la même trouée, Monevassia : la masse imposante, incongrue, du caillou comme sorti de la mer — et tout autour la vie douce, à la grecque, qui s’organise.

J’ai grimpé jusqu’aux ruines du sommet en compagnie d’une jeune barmaid revenue de son footing, qui avait accepté de me montrer le chemin. Je l’interrogeais sur la beauté du paysage, lui posais quelques questions sur Monevassia, les environs, la vie au village, mais elle acquiesçait sans conviction, blasée, et j’ignorais qu’on pouvait l’être en ouvrant les yeux tous les matins, avec les toits orange du village sous le menton, et la mer limpide en point de mire.

En redescendant, déambulant avant le bus, déjà, du retour, je fais la connaissance d’un couple de retraités français habitant Pondichéry. Nous buvons un verre et nous parlons des centaines de Pakistanais qu’on voit partout, sillonnant les routes dans les bus qu’on emprunte. Eux, ils peuvent les approcher puisqu’ils baragouinent le Pendjabi, mais les contacts, me disent-ils, demeurent malgré tout méfiants.

Aujourd’hui c’était un de ces jours qui requinquent. Les jours passant, la Grèce m’apparait comme plus mystérieuse que je la percevais en arrivant. C’est un pays constitué de strates, à gratter patiemment — et comprendre les enchevêtrements.