Un paragraphe ou deux pour Obi, laborieux et débit faible. Je remarque un de mes tics d’écriture, un défaut même, assez récent je crois : je ne sais plus écrire autrement qu’en phrases juxtaposées ; c’est-à-dire que je n’écris plus que par syntagmes liés les uns aux autres par des virgules, tirets, points-virgules ou deux-points – j’imagine comme tout cela doit être vain, quand on lit naturellement.


Les phrases sont des cours d’eau, et comme partout en France le débit des miennes se réduit, sont maintenant presque à sec. L’autre jour, je lisais dans un article qu’à Volvic on ne sait pas combien de temps l’eau met pour traverser la roche volcanique jusqu’à la source. Je ne sais pas non plus combien dure la traversée de mes phrases, des synapses jusqu’à la gueule.


J’apprends que les collègues lisent mon journal et que ce que j’y raconte les blesse ou les agace. Bref, ils en causent entre eux, sans doute que certains se foutent de ma gueule, et des captures d’écran de mon site circulent en sous-main. Qu’est-ce que je dois faire de ça ? Je voudrais dire que ça ne me blesse pas, mais faux. Pourtant pas la première fois que mon journal heurte ma vie sociale et professionnelle.

Le problème est toujours le même : si je ne publie pas sur le site, ça n’existe pas. Si je publie en gommant les aspérités, les emportements, ça n’a plus aucun intérêt. Mais si je publie avec les aspérités, on finit toujours par m’en vouloir. Depuis longtemps, j’essaye une position médiane, ou plutôt furtive, pas moins problématique, qui consiste à multiplier les dispositifs d’étanchéité entre la vie commune et la vie dans le journal : pas de nom, peu de lieux, peu d’intime, création de Thomas Terraqué en guise de camouflage, et demeurer discret sur ce que je fais de mon temps libre. Je n’ai pas mieux, mais ça n’est pas suffisant. Je ne veux pas avoir à écrire avec le poids de la socialité sur le dos, pourtant il est là, irrémédiable, et il faudrait l’oublier.

La meilleure solution, au fond, ça serait d’accepter qu’on m’en veuille, qu’on me tourne le dos, qu’on se taise à mon entrée dans une pièce parce que je suis le connard qui écrit des trucs sur les gens. Ça serait ça, la nouvelle Littérature considérée comme une tauromachie, mais comment éviter la peine qui vient ?


Deux rêves ces derniers jours, plutôt des images mentales. Moins succession d’événements que description d’un état. Le premier : derrière l’oreille, une excroissance gonflée de sang, bleutée à l’extrémité, de la taille d’un ongle mais peut-être d’un poing. Vaguement purulente, elle est piquetée de poils épars longs d’un ou deux centimètres. Le bubon est lié au corps par un segment fibreux rigide, insensible au toucher.

Le second : une entaille très profonde à la voûte plantaire, dans le sens de la largeur au niveau du métatarse. Ça suite, peu de sang, mais l’entaille est profonde d’un bon centimètre. On voit la chair, d’apparence plastique, jaune très clair, déchirée comme par une mâchoire qui aurait mordu dedans.


Samedi-dimanche à Toulouse. Vu L., traumatisée par ses années dans la police. Toute la soirée, elle n’a parlé que de ça, de la grande déchetterie sise à côté de la société, que nous honnêtes gens ne voyons jamais, mais qu’elle côtoyait comme une infirmière son malade. Elle dit les histoires sordides de viol, de séquestration, d’inceste – ça la réveille en pleine nuit –, et ses collègues pleins de muscles, qui ne se posaient pas tant de questions, aimaient bien bastonner en gav. N’importe qui aurait pété les plombs.


Hier G., nos sempiternels achoppements de manuscrits. À la troisième bière (ressenties huit), je divague un peu sur une vraie, humble et intelligente coopérative d’édition littéraire. Mais lui, G., était heureusement beaucoup trop sobre pour me suivre. Ô que deviendrions-nous s’il buvait comme moi !


Fin des cours, adieux maladroits aux élèves, voire franchement ratés. Désarroi en rentrant que tout s’arrête comme ça, si bêtement, sans un mot – et collègues pareils, avec lesquels je sens que quelque chose s’est perdu en route, cassé – désarroi.