Monterrico. Écrasés tous par la touffeur tropicale (ce mot, je découvre ce qu’il signifie pour la première fois). J’achète un chapeau de rancher qui, de manière inexplicable, me va assez bien. J’entame Grapes of wrath.

Le soir restons, B. et moi, interdits sur la plage infinie de sable noir, devant les rouleaux qui s’abattent sur le rivage. Nous sommes balayés.


Retour via la carretera défoncée d’Amatitlán. Y perdons un pneu – V. me montre comment changer une roue, car jamais eu à. En plein jour je vois enfin le Guatemala ; les volcans inébranlables nous prennent sous eux. Paysages de jungle escarpée, décharge à ciel ouvert d’Amatitlán et baraquements bigarrés le long. Le soir, j’essaye de reprendre Obi, mais il est encore loin de moi.


Grosse journée, toujours pas de bagnole. Cet aprèm, réunion de présentation de la classe de cinquième aux parents d’élèves – qui après tout sont nos employeurs. J’ânonne péniblement quelques mots d’espagnol sous les regards amusés de l’assistance.


Impossible d’écrire quoi que ce soit ici. Obi est inaccessible, imprenable. Je me lève à 5h, reviens à 17h, me couche à 21h. Cassé.

Des cinquièmes me font le cadeau d’une liste de toutes les choses que je dois faire, manger, boire et visiter au Guatemala.


Dix mille balles dans la nature, parce que le compte bancaire guatémaltèque se retrouve mystérieusement bloqué avec le gros virement en attente – c’est une employée bancale et mutique, planquée derrière son écran, qui nous l’annonce sans sourciller. Le soir, j’écris plusieurs fois sur Whatsapp : c’est la ira chapina.


Nous venons d’échanger un chèque de banque contre une grosse bagnole de type go-fast. 83000km, valeur inestimable. C’est la première fois que je possède une bagnole.

Et comme Obi n’avance pas, je dois rester ce weekend à la Ciudad pour travailler au lieu d’accompagner les collègues faire l’ascension du Pacaya. Me fend le coeur, mais toujours ce truc en moi stupide : ce n’est pas tant l’écriture qui exige la privation, mais la privation qui motive, engendre et ramène l’écriture.


Rentré tard de chez W., étrange et charmante soirée plurilingue à cheval entre le français, l’espagnol et l’anglais. Avons joué à une déclinaison guatémaltèque du Uno, le Dos (!), dont la particularité est qu’il est rigoureusement impossible de finir une seule partie.


Cette impatience puérile de me rendre demain au lycée dans une bagnole de riche.


En salle de profs : « la saison des pluies est plutôt douce, cette année. – Arrête, je viens de lire qu’à cause de l’orage cette nuit, il y a dix-huit disparus dans un glissement de terrain en zone 20. » Zone 20, c’est à une quinzaine de kilomètres à vol d’oiseau du lycée.


Monsieur, vous leur faites peur – je vois leurs gueules d’espèce dominante, comme des chiens qui pissent sur un bout de gazon pour marquer le territoire. Je reste stupéfait – j’ai beaucoup de défauts, mais celui de faire peur, putain –, l'adulte hausse le ton un peu – mais je comprends assez vite que tout ça c’est du folklore : ils veulent me montrer qu'ils me mettent en coupe réglée, me répéter pour le cas où je ne l’avais pas bien compris que je suis leur larbin, et que je n’aurai pas de problèmes tant que je fais en sorte que tout ce petit monde reste au-dessus de la ligne de flottaison, et dans le plus grand confort qui soit s'il vous plaît.


Bloquer tout le français que je reçois. Écrire à B. et W. en espagnol. Lire El País plutôt que Le Monde, n’écouter plus que de la musique espagnole, des podcasts d’actualités guatémaltèques dans la voiture, et peut-être même ne plus lire de romans français (ce qui pour les mois à venir, jusqu’à ce que je puisse enfin comprendre des phrases sans faire l’effort démesuré de les traduire, signifierait ne plus lire aucun livre). Et pourtant, ma tête ne sera jamais assez étanche, et le français giclera toujours par les écoutilles.