Arévalo a pris le pouvoir. Ils l’auront fait chier jusqu’au bout. Cet après-midi encore, à quelques minutes de la passation officielle, les députés de la majorité sortante foutaient le bordel au parlement pour l'empêcher de prêter serment.

Une heure et demi de discussion avec D. tout en espagnol – il existe une substance chimique stimulant la glande pinéale, me dit-il, mdt, mtd, quelque chose comme ça.


Je lis Sepúlveda, Mundo del fin del mundo, et je vais en Terre de Feu. Pourquoi n’ai-je jamais rêvé de la Terre de Feu ? Je me rappelle de bribes de Perec, dans W, qui me sont restées en tête depuis l'adolescence, bizarrement, parce qu'elles n'ont rien d'extraordinaire, du genre, d’abord : « ... dans une petite gargote de la Giudecca », puis au chapitre suivant : « ... une île de la Terre de Feu ».


Ça m’amuse de penser à ces vendeurs de yaourts et narrativiseurs impénitents, au moment où ils sortent de leur chapeau le mot « réarmer » et toutes ses déclinaisons. Je les vois devant le Grand-Chef-à-Plumes, tout fiers de leur trouvaille, expliquant à l’aide de beaucoup de mots très longs et compliqués tout ce que « réarmer » brasse dans l’inconscient. Ils disent qu’on a tous, avec « réarmer », l’image d’un flingue dans la main ou d’une bite bien dure, et que c’est le Grand-Chef-à-Plumes qui la manie à sa guise. Et se dire que c’est autour de cette idée-là : flingue-bite-puissance-capacité, avec le préfixe –re agissant comme culasse reculant avançant, se dire que c’est autour de ce mot riquiqui qu’on fait un projet de société. Car désormais les mots n’accompagnent plus l’action publique mais s’y substituent, étant entendu que des mots, il n’y aura plus que cela.


Urgence de reprendre le sport – trente-cinq minutes à peine aujourd’hui et à bout de souffle. Travail sur les cours tout l’après-midi. Le soir Roma, splendide et remuant.


Re-footing, idem. Difficile de retrouver le plaisir. Et ça n’en finit plus, les pourparlers-corrections-temps mort pour Obi. Mais la seule chose qui m’intéresse en ce moment, ce sont les cours.


Longue discussion avec P. L. cet après-midi, et ce constat terrible d’une sorte d’in-instructibilité des élèves, intoxiqués par les divertissements, abandonnés par leurs parents. Ce soir, j’y crois à cette apocalypse un brin caricaturale.

P. m’explique qu’il a longtemps travaillé pour le développement des structures éducatives dans les campagnes guatémaltèques. Je l’imagine trente ans plus tôt, avec son sac à dos dans les déserts – il dit avoir parfois, à cette époque, souffert la soif et la faim – écoutant les besoins des gens, soutenant les projets (soutenir, c’est à dire, j'imagine les mains dans le torchis) – qu’est-ce que c’était, les campagnes guatémaltèques d’il y a trente ans, impossible d’imaginer pour moi.


Hier, P. me parlait aussi des Indigènes et des langues. « Ils sont fiers de leur langue ; dès qu’ils le peuvent, dès qu’ils ont un moment entre eux, ils parlent popti ´ou kaqchikel. Ils résistent, ils se laissent pas bouffer. » Moi, je crois deviner la même fierté dans la démarche des femmes au bord des routes, le teint buriné et la corta poussiéreuse. Quand une grosse bagnole bien brillante les dépasse, elles ignorent royalement, le sac de provision à la main ou sur la tête, elles ont le regard qui disent je t'emmerde – se laissent pas bouffer par le monde des gringos qui pénètrent partout.