Appel avec L. pour préparer la sortie du livre. Communication et Services de Presse, choses à penser, j'aimerais écrire seulement. Tout ça me dépasse un peu, et, oui, j'appréhende.
Revu pour la dixième fois au moins Incassable, premier film de cinéma vu en salle, vers dix ans. Il m'avait impressionné au point que j'en ai fait longtemps des cauchemars – la main gantée de Samuel L. Jackson, la canne de verre, ce twist final que j'avais pris en pleine gueule. Aujourd'hui encore il remue des peurs enfantines. Et c'est peut-être parce que ce film est entré profondément en moi, à l'époque, que je n'ai pas pu faire autrement, par la suite, que de devenir fervent regardeur de cinéma.
Jeanne Dielman. On se fait sérieusement chier mais c'est implacable et terrifiant. Dérèglement du quotidien par d'infimes détails : une bouteille de lait qu'on effleure, la soupière avec le fric dedans qu'on ne referme pas, et l'heure qu'on observe, tétanisée, sur la table de nuit. C'est l'infraordinaire mortel, une entreprise d'aliénation dont on ne se défait pas.
Reprendre aussi l'habitude de faire une photo par jour.
Lecture d'Asturias – Hombres de maís – ma grande affaire ces temps-ci. Je m'y acclimate doucement, j'accumule les échecs de lecture, mais peu à peu ça rentre. Je rentre dans la selva des phrases multicolores biseautées, pénètre la logique sorcière. (Toma Machojon, fou à lier, s'immole au milieu d'un champ de maïs pour ressembler au fantôme de son fils disparu) : « La rosée nocturne se réveilla, luttant pour attraper dans ses filets de perle d'eau les mouches de lumière qui retombaient de l'incendie. Elle se réveilla, avec toutes ses articulations engourdies dans les coins d'ombre et jeta ses filets de résine d'argent en pleurs sur les étincelles qui maintenant étaient autant de petits feux qui gagnaient de nouveaux foyers de combustion violente, au mépris de toute stratégie, avec la plus habile tactique d'escarmouche. »
Maldormir recommence. J'aurais à peine tenu un mois. L'effervescence dans le corps dès le réveil, involontaire, à trois heures. Vive discussion à six heures avec E. sur le pourquoi du comment de l'enseignement de la grammaire – qu'évidemment je regrette à présent –, et qui m'a tenu éclaté toute la journée, avec cet agrippement de notions, de concepts, d'idées qui ne me lâchent pas, me hantent bêtement.
Soirée à la Antigua avec H., O. et les collègues. Longue discussion avec H. jusqu'à cinq du, hermanos perfectamente borrachos, à propos d'enfants et de fin du monde.
Puis amendé mon commentaire de « Ma Bohème » pour les premières, qui me dérive tranquillement vers le Bateau ivre : « Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques / Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs. »
Réveil encore milieu de nuit avec le cœur à rompre. Ce mot, tension, moins médical qu'existentiel. Des inflammations en forme d'aubergine surgissent de part et d'autre de mon crâne. Alors je prends garde à rendre méticuleux le moindre de mes gestes, je m'alentis consciencieusement, respire comme un nuage, freine le monde afin qu'en retour il freine ma systole.
Deux heures de première épuisantes. Il faut les former, pour ce putain de bac, à quelque chose qui est tout l'inverse de la littérature. La froideur seulement technique, l'étroitesse du raisonnement – mais nous autres profs préférons le mot « rigueur » –, la méthodologie à la petite semaine. À la perspective de ce programme, on s'exclame dans la classe : « Hombre! »
Laisser un commentaire