Ces dix derniers jours, je me suis dégonflé comme une baudruche – pas touché un livre, un clavier, seulement rien foutre et fumer en attendant que ça passe. Seule réussite : imprimé en in-folio certains textes composés cette année pour les offrir à Noël. Livres pauvres, je dis.


Décision prise hier d’écrire le journal autant que possible le matin, sinon dans la journée. Pour une raison assez mystérieuse, le soir, j’ai toujours l’impression que mon existence est au bord du gouffre. Et puisque l’écrit contamine par nature le réel, je m’intoxique moi-même de mes propres textes, de sorte qu’à la longue le journal devient un instrument de décompensation mentale.

J’imagine que si j’écris le matin, il me sera plus facile de cerner un élan, un désir, une tension pour le futur.

Au Pouliguen avec les parents et les cousins, dans une grande baraque. Vieilles diapositives familiales : années 70, vacances en Martinique, jeux paralympiques de Toronto. Il faudrait les reprendre, les commenter, dire que ces photos de famille, qui mettent en scène l’enfance de mes parents – et mes grands-parents quand ils avaient trente ans –, une vie entièrement révolue, dire qu’elles me remuent profondément, de manière inattendue – peut-être qu’ils ne sont pas ceux que je pense, par conséquent moi non plus.


Plus je le connais, plus je trouve étonnant que le père de X. soit un homme qui doute. Parlions de l’opportunité pour F. de travailler pour une grosse boîte. B. disait que plus jamais elle ne retravaillerait pour ces connards, que c’était, quoi qu’ils lavent plus vert que vert, contreproductif. Le père confesse – rhétorique, mais pas seulement – une certaine naïveté. Il dit que chez ces connards, au moins, il y a de l’argent, des compétences et quelques personnes (forcément) de bonne volonté. Il dit aussi qu’il n’y a rien de plus délicat pour une entreprise que de changer de business model.

La conversation a duré une heure, constructive et riche. À la fin, il ne cachait plus ses doutes : la rémunération des patrons de ces entreprises, ça, il ne se l’explique pas ; de même qu’il constate le fossé générationnel entre ceux qui pensent que les grosses boîtes font partie de la solution, et les plus jeunes qui, souvent, lorsqu’ils sont engagés, ne veulent plus en entendre parler.

A-dultus. Quand j’aurai son âge (si), j’espère que je saurai encore douter comme lui. Sentir que quelque chose m’échappe et lutter pour le saisir quand même. Mais c’est si rare, car la vieillesse agit comme un four, nous durcit sur le long terme.


Promenade sur la côte sarzéenne, côté golfe. Chemins inondés même à marée basse. Discussion avec P. sur les théories de l’évolution – je me rappelle de cette époque, pas si lointaine, où je disais à mes petits sixièmes pour les impressionner, quel con, que l’homme descend du singe. On ne m’y reprendra plus.

L’aller-retour en Bretagne m’a remonté : idées plus claires, énergie et conviction. Je relis Le Mythe de Sysiphe : toujours étrange de s’entendre rappeler que l’homme absurde c’est nous aussi – nous qui comprenons, jusqu’aux pierres qui nous entourent, que le monde est épais.