Ascension du San Lucas Tolimán, à plus de trois mille. Traversée des champs de frijoles à flanc de montagne, puis jungle impressionnante dominée par ces arbres grands comme des ceibas, donnants d’étranges fruits en forme de main, et que notre guide appelait carjeta (mais ni google ni personne de nos connaissances ne connait carjeta). Et tout le long du chemin, même jusqu’au sommet, emballages de Tortrix, bouteilles de Coca, déchiquetures de sacs plastiques.

Ici, les gens ne parlent espagnol que pour les touristes – c’est la langue de l’envahisseur. Entre eux, ils parlent Kaqchikel. Pendant la montée vers le sommet du volcan, on voyait des paysans qui se trimballaient des fagots de cinquante kilos de bois sur le dos, maintenus par une corde passée autour du front. Quelques kilomètres avant le retour au village, nous avons croisé un homme d’un certain âge, cinquante soixante, avec son fagot sur le dos. C’était si lourd, il était si faible qu’il ne pouvait plus continuer la descente. A la limite de la chute, incapable de rester debout plus longtemps avec une telle charge sur le dos, il s’est adossé sur le tronc d’un arbre. Notre guide l’a aidé à caler son fagot pour qu’il se repose un peu, mais de toute évidence il était à bout de force – un jour, dans peu de temps sans doute, il mourra dans la montagne.


Retour en lancha vers Panajachel, en passant devant les pueblos mystérieux de San Marcos, Tzununa, d’autres encore, villages à fleurs d’eau inaccessibles par la route. Ciel bleu comme une gouache, forts contrastes, vent frais – richesse sans mesure du paysage, que des années sans doute ne suffiraient pas à en épuiser la circonférence.


Noël à El Remate, Petén. J’appelle la famille en France et imagine leur ambiance de nuit, chaleur rouge et brillante, les grandes tablées et le vin. On me dit qu’en France tout va bien. Moi, c’est encore la pleine journée. Je suis face au Petén Itzá bordé de jungle, moiteur et moustiques. D’ici, on entend les singes hurleurs qui font planer au-dessus de la canopée leurs hurlements de jaguar. A la nuit tombée, dans l’étang d’à côté, sous le tintamarre des batraciens nous observons les yeux jaunes et perçants, immobiles comme des billes, de quatre ou cinq crocodiles à fleur d’eau.

Mais je voudrais poursuivre, m’enfoncer davantage vers les endroits qui n’existent que dans les songeries.


Yaxha, pyramides mayas voisines de Tikal. Partons en début d’après-midi dans un mini bus rempli de touristes venus des quatre coins du monde. Mon voisin regarde des reels avec le son très fort, où des jeunes filles peu vêtues font des têtes de connes sur fond d’autres sites touristiques guatémaltèques. Devant moi, un amerloque est juste chelou, avec ses lunettes fumées, son sombrero et ses cheveux gris. Il passe les mains sur les épaules de sa meuf ( ?), l’embrasse et lui murmure des trucs, mais elle ne réagit pas. Ses mains sont tellement gluantes que je ne sais pas comment la fille peut supporter cette sorte de sperme invisible qui doit lui couler sur l’épaule. En fin de journée, le sacro-saint coucher de soleil : cent personnes agglutinées à la ballustrade amménagée sur la pyramide, téléphones et vas-y pour la raclée des selfies.

Il faudra que je m'y colle un jour, j’y pense depuis des années, je crois, et ça me travaille au point de tout me gâcher. Le voyage, le tourisme, moi-même, ma contradiction irrésolvable, et cette phrase idiote qu’on prononce beaucoup trop souvent pour que cela soit honnête : comment habiter le monde ?