Cuando Pase El Temblor. Vendredi minuit la terre s’est mise à bouger. Tremblement de terre. (C'est tellement fréquent ici qu'on distingue tremblor, quand il n'y a pas de dégâts, et terremoto, quand il y en a) J’étais à demi bourré, alors j’ai cru que c’était un rêve – fenêtres qui vibrent, une trentaine de secondes, verre au bord de la commode qui manque de tomber – j’ai cru que c’était mon premier rêve guatémaltèque.


Je n’en finis pas d’en finir avec Obi. Frustration devant ces mots, pourtant pesés au gramme, qu'il faut sans cesse remettre en question. C’est le job, je me dis, mais le job est un aphte sur la langue.


Je me rappelle le deal passé avec moi-même au début de la proferie : je ne vivrai pas pour mon métier. Quelques années plus tard, je comprends que je suis sur le point de me renier.  Je suis prof même durant le sommeil. Prof remplit toute ma vie depuis que je suis arrivé ici, prof m’épuise, m’esquinte la santé – ma tension inarrêtable – mais prof me comble.


Épuisement. Le dire avant de dire qu'on exagère. Hier salle des profs : fortes douleurs à la poitrine, difficultés à faire ne serait-ce que quelques pas. Telle tension dans le corps que mal aux reins, aux yeux, parler est un effort, si grande lassitude. À un pas de la syncope. La proferie est un défi intellectuel et physique, mais elle m’abîme. Et je vois les autres collègues ; ils ont d’autres fatigues mais pas celle-là, la mienne, qui bouffe et anéantit. Leur travail ne requiert pas l’intensité que j’y mets moi – sans d’ailleurs que cela fasse de moi un bon prof. Je parle si fort en classe. Parfois je hurle mon cours sans m’en rendre compte. À fond, à cent pour cent. Toute la journée coeur à mille, sans discontinuer. Les autres font mieux que moi en y mettant moins d’eux. Je crois qu'à chaque seconde, sur la balance éducative, je pose toute mon existence, tous mes désirs, mes ratés de jeunesse, toute ma puissance. Et je n’en peux plus.


Repos. Je traduis Sepúlveda, ne m’habille pas, reste bien attentif au rythme cardiaque, aux douleurs et à la lassitude. J. me prête El Túnel, le lis aussi.


Retour de Xela où nous avons passé trois jours. Commencent à me rentrer dans le crâne ces paysages volcaniques sans fin à l’horizon de n’importe quel pueblo ensoleillé. Ce sont de grands triangles de terre, cheminées grises ou marron qui percent la pollution et pénètrent le ciel, partout dans le ciel. Netteté des couleurs, pastels contrastés qui ne cessent jamais et disent, s’il faut les croire, que l’infini existe encore un peu.

Enfin sur les hauteurs, assez loin, la laguna Chikabal. Cratère devenu lac, lieu de culte maya où il est défendu de toucher l’eau. Une famille était à quelques mètres de nous, faisait des prières, brûlait des offrandes, avant que le mystère de la brume épaisse vienne figer tout cela. (Un couple d'allemands stupides les filmait aussi avec le portable, de très près, comme au zoo)

Je voudrais parfois que le Guatemala ne soit qu’une longue route sinueuse sans destination, un déroulé interminable de rocs et de sables, de petites familles cheminant sur les bords des routes et d’hommes à Stetson et de femmes en corte. Et il suffirait de le vouloir pour qu’elle ne s’achève jamais.