Première fois dans le train de nuit pour Modane. D’habitude, dans un Ouigo par exemple, je me fais souvent la réflexion que tout a été pensé pour entraver l’usager, afin d’économie bien sûr, mais aussi pour lui faire comprendre qu’il utilise un train de pauvre. Dans ce train de nuit vieillot, datant à vue de nez des années 80, sentiment au contraire que des ingénieurs et des logisticiens ont essayé d’améliorer au maximum le confort des usagers : masque de nuit, couchettes convertibles, réglage du chauffage et de la luminosité, oreillers et sacs à viande. Par les temps qui courent, voyager en train de nuit c’est faire l’expérience en négatif d’une régression.

Sur la couchette, je relis les Cinq leçons de Freud en prenant des notes comme pour un examen. Toujours partagé entre l’indéniable justesse de ses analyses et la posture détestable du bonimenteur.


Serre-Che. Appartement au pied des pistes, station morte, résidu de manteau neigeux. Au mois d’avril, les équipements d’une station de sport d’hiver sont absurdes. Leur ferraille rouillée et leurs morceaux de tôle rappellent les installations minières du Nord, avec leurs terrils et leurs corons.

À propos du dernier livre de Quintane, une critique radio dit : « l’école est le lieu où la littérature est amortie ». Pas mieux.

J’entame l’Idée de littérature, de Gefen. Les livres de critique générale ne me servent à rien, ne m’aident ni à mieux voir, ni à mieux lire, ni à écrire autrement, pourtant ils me passionnent. Je les dévore souvent comme des pages turner. L’introduction de celui-ci est une synthèse remarquable sur l’histoire de l’autonomisation du champ littéraire.


Cette nuit, j’ai donc rêvé que je voulais cuisiner une main humaine. Dans les Cinq leçons, Freud explique que les rêves sont des désirs (!) refoulés, masqués par le contenu manifeste du rêve. « Le contenu manifeste du rêve est le substitut altéré des idées oniriques latentes ». Après une rapide recherche, j’apprends que les rêves d’anthropophagie sont courants, mais je n’ai toujours aucune idée de ce qu’ils signifient.

10km de course ce matin au pied des montagnes. Impression rare d’être au bon endroit au bon moment. Je lis et je travaille. Disparition de l’impression, si tenace à Paris, d’éparpillement du temps. En fin de journée, promenade dans la brume jusqu’à la chapelle de La Salle.


Cuite magistrale avant hier. Un bar resté ouvert, des clients moqueurs et surtout un barman, T., la cinquantaine, monté sur ressort – dopage probable. B. me dit : « c’est un personnage de roman ». Caricature de sudiste, doté d’un sens de l’accueil hors du commun, T. est bourré de tics de langage. Son élocution est si saccadée qu’on ne lui comprend qu’un mot sur deux. Il me répétait en permanence : « mon métier c’est de boire » – et il nous servait de grands verres de rosé en renversant d’un coup sec la bouteille à la verticale, avec des yeux torves et un sourire de fou furieux.

Nous l’avons recroisé hier dans son bar, toujours entouré d’une foule de buveurs. Il hurlait des insanités qui n’avaient pas de sens : « suce !, suce ! » en parlant de son collègue qui faisait à manger. « Écoute-moi-écoute-moi-écoute-moi ! » Il reprenait le Mia au micro, on l’entendait depuis le bout de la rue. À notre arrivée, devant les buveurs hilares, il s’est mis à raconter à tous les détails les moins avouables de notre cuite. Grand personnage.