À chaque voyage le même constat : le voyage commence avant le voyage. Dès l’arrêt de bus, pleine nuit, où attendre le Noctilien vers Roissy — viendra-t-il ?, ne me suis-je pas trompé d’arrêt, de direction ?, quel imprévu à venir ? — ; il commence dès l’aéroport en veille, qui traite en douceur le flot maigre des voyageurs, et continue de commencer dès la table du snack, à proximité de la porte d’embarquement, sur laquelle écrire les premières pages du carnet avec la grande bière qui l’accompagne malgré l’heure indue — il est cinq heures.
Elle est nécéssaire avant les voyages par l’avion, la bière, puisque les décollages, les atterrissages, seront une torture nécéssaire : montrer que l’on trompe la mort dès le préambule pour gagner son passeport vers l’aventure. Tromper la mort, car l’avion m’apparaît comme un exemple remarquable de l’orgueil humain : faire voler des boîtes de conserve de plusieurs milliers de tonnes pour transbahuter des âmes par centaines, à des hauteurs terribles et à des vitesses folles, bravant des températures extrêmes, cela devrait toujours relever de l’héroïque. Or non ; cela se passe à chaque seconde dans les aéroports du monde entier, et la fiabilité de ce système — sans lequel nos vies modernes seraient bien différentes — nous semble à toute épreuve, mais contre toutes les évidences. D’ailleurs, on n’applaudit plus les pilotes à l’atterrissage ; la tradition pourtant avait du bon, voler devrait toujours être un exploit. Ceux qui ont foi dans l’aviation (ce sont les plus nombreux) croient profondément, je ne vois pas d’autre explication, en le génie humain. Les autres, ceux qui n’y croient pas, ou moins, eh bien en avion ils serrent les fesses — ils aimeraient toutefois croire à quelque chose quand l’appareil met les gaz.
Athènes m’accueille avec une grosse pluie ; Athènes est bruyante, colorée, la chienlit s’incruste partout, tags partout, ville bricolée où qu’on regarde. Dans le métro qui m’amenait au centre-ville, un homme remarque devant moi un pickpocket et le signale à mes voisins, un couple d’italiens dont les bagages trop ouverts faisaient une cible facile. Son manège est bien rôdé. Rigolard, l’air franchement sympathique, on le remarque aisément mais il paraît inoffensif. Il se rapproche insensiblement d’un groupe de touristes — des américains qui parlent fort sans souci de rien — et j’ignore ensuite s’il est passé à l’action. Sans doute. Ce que je sais, c’est que celui qui l’a remarqué dégaine discrètement son téléphone, le prend en photo et l’envoie à je-ne-sais-qui, un flic, la compagnie de métro, une milice qui pourra lui casser la gueule.
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