Deux visites aujourd’hui : premier appart à Stalingrad, miteux, mal foutu. Le second à Saint-Ouen, grand et moderne, lumineux, loin de tout.

Beaucoup des proprios que je vois me font l’effet d’être des pauvres gens. C’est-à-dire largués, négligent de tout et d’abord d’eux-mêmes. Comme si leur patrimoine les avait peu à peu dévitalisés, et qu’assis sur un tas de pognon encore plus imposant que le vrai pognon, ils s’étaient laissés dériver, n’ayant jamais rien d’autre à faire qu’à même pas se baisser pour ramasser des loyers mirobolants. Alors quand ils arrivent à moi, ils sont loqueteux, en sandale, le teint pâle ou jaune, ils poussent des petits râles en montant l’escalier de neuf étages et ne voient pas un instant que le clapier qu’ils possèdent est désormais dans le même état qu’eux.


Vacciné. C’était l’usine au Stade de France. Longue attente dans la foule qui se tenait sage pour recevoir sa dose – drôle d’impression.

Répondu à quelques annonces d’apparts ; joué une partie d’échecs que l’ordi a trouvée médiocre. Pas eu le temps de me mettre sérieusement au travail.


Oraux du Delf. Fierté que F. l’ait obtenu largement. Je rencontre d’autres profils d’élèves qui me rappellent que le monde est terrifiant : L., venu seul du Sénégal, hébergé par l’ASE jusqu’à sa majorité, mais n’ayant pas obtenu de Contrat Jeune Majeur. Ma collègue, qui semble s’y connaître, dit que de toute façon l’ASE n’en propose plus jamais. L. disait durant l’oral – ou plutôt, il nous laissait le deviner – que ce soir il dormirait peut-être dans la rue. Le plus dérangeant, pour nous qui devions le noter bien scolairement à propos de peccadilles, c’est que ça se voyait dans ses yeux que pour lui, la rue, ce n’était qu’une épreuve parmi d’autres, qu’il avait peur mais n’était pas terrorisé.

Plusieurs heures sur la NA. C’est vraiment démonter le texte, qu’il faut. Mais maintenant, il y en a partout. Tout est éparpillé en petits morceaux séparés du reste, qui ne signifient plus rien et flottent au milieu du fichier. Ceux dont je ne sais plus quoi faire, c’est eux qu’il faut supprimer.


Visite d’un bel appart au coeur du pays bobo, avec marbres, moulures, plancher « hongrois » et le reste du tintouin. Hier, avec la collègue du Delf, parlions du sentiment de déclassement social quand on cherche un appart. En ce moment, pour moi, c’est l’inverse. J’accède à autre chose. Première fois que j’ai autant de sous à mettre dans un loyer, et première fois que nous serons deux à le payer. Je suis passé de l’autre côté de la barrière, où les proprios me méprisent moins (lapsus : j’ai écrit maîtrisent) et où l’on me propose du plancher « hongrois » plutôt qu’un carrelage niqué.

Une partie de moi est excitée, une autre se demande comment, dans ces conditions, en habitant cette enclave soyeuse qui ne connaît presque pas la violence, la pauvreté, le sale, je pourrais encore voir et comprendre le monde tel qu’il est, avoir dessus le moindre poids. À la Plaine, j’avais sur le monde sur vision panoramique. Dans le 18e, c’est comme regarder au cul d’une bouteille. Et puis que peut-on dire du monde, quand à la première occasion on s’en défait ?