Départ pour la rando – d’Avignon jusqu’au Grau du Roi. Le GR nous emmène au milieu des zones commerciales et suit les routes nationales. Sommes ravis… Les paysages sont déjà provençaux et me rappellent la Grèce : végétation basse, cyprès et vignes, et les mêmes maisons sorties de terre sans ordre.

 

La douceur, aussi. À Serre-Che, c’était la fin de l’hiver. Quatre heures de train plus tard, c’est déjà le début de l’été. Bivouac ce soir dans les vignes. Le ciel est nuancé de rose ; la route à 300 mètres ne cesse jamais de gronder.

 


 

Marche éprouvante jusqu’à Tarascon. Le GR passe encore par la route et nous conduit dans d’affreuses zones résidentielles ou commerciales. À force de marcher sur le bitume, nos pieds sont déjà en compote. Je me demande ce qui me fait apprécier cette épreuve : douleurs aux pieds, soirées courtes, mauvaises nuits et repas frustes. Pourtant, je suis quand même mieux ici qu’ailleurs, justement pour toutes ces raisons.

 

Durant la marche, la NA me revient doucement via le poème de Cavafy. Les vignes attachées à leur tuteur me font l’impression d’un homme sur le bûcher.

 

Trois nuits de suite que je rêve (record sans doute), et pourtant je n’ai pris la peine de noter aucun d’entre eux. Voici brièvement :

 

  • Jean-Michel Blanquer était démissionné – je me représentais sa photo en majesté parue quelques jours plus tôt dans le Monde.
  • Je jouais avec le petit T. dans la boue. Puisqu’il était sale, je craignais que ses parents me réprimandent, alors je l’accompagnais vers la salle de bain pour qu’il prenne sa douche – mais je craignais en même temps qu’on m’accuse d’une sorte de pédophilie.
  • Rêve horrible où mon père jouait un rôle important. Il était question de tuer quelqu’un et d’un mensonge gravissime que je faisais à mon père – lequel n’avait pas été dupe.

 


 

Nouvelle journée dure et sans intérêt. Les douleurs qu’on inflige au corps durant la marche longue s’évanouissent en général avec le plaisir – du paysage, de la rencontre, de l’effort, etc. Sans le plaisir, marcher 35km dans la journée avec un sac de 10 kilos sur les épaules est une épreuve stupide. Avons donc choisi d’écourter la rando et rentrons demain à Serre-Che. Nous ne verrons pas la mer.

 

Le pays d’Arles est fait d’une succession de mas imposants, dont chaque entrée donne sur un terrain vague précédé du panneau : « chasse gardée ». Tout un programme.

 

Je poursuis Loujine, qui est un roman admirable. Je me demande s’il est encore possible à notre époque d’écrire un roman dans cette veine – ou même, en exagérant : y-a-t-il quelqu’un aujourd’hui qui sache encore écrire un vrai roman ? En termes d’art narratif, il est évident qu’aujourd’hui rien n’approche de la qualité de Nabokov.

 


 

Rouvert la NA, littéralement, sorti le manuscrit de l’enveloppe et passé une grosse partie de la journée à en revoir l’architecture. Suppression du chapitre de la Taromancienne, mais, fatalement, ajout d’une foule d’éléments de souvenirs. L’Ami existe et sa vie est la vie que je rêve.

 

Car c’est B. qui avait raison : il manque au lecteur une raison de suivre les déambulations de P. Il doit aimer l’Ami ou le détester, mais il doit y croire, tout simplement, suspension of disbelief. Revenir, toujours, quand les choses semblent perdues, aux raisons primitives qui nous poussent à raconter.