Réunion d’équipe au sujet d’A. et D. L’un est manipulateur et sympathique, l’autre écorché et violent. Conclusion de la réunion : pour eux, le système est à court d’idées. D’une manière ou d’une autre, ils dégageront.

Encore le verbe barbouiller dans Salammbô.

Ces jours-ci — mais quand je fais le compte, c’est déjà depuis une éternité — je ne peux pas écrire. Je n’ai pas la tête à la chaleur athénienne, il n’y a plus rien de ma vitalité qui soit dirigée vers le monde, un peu à part, où elle se trouve.

Avec M., regardons un documentaire merdique sur Alain Kan. Quand il s’était rangé à Cluz, peu avant sa disparition, il a tourné une série de vidéos dont le documentaire montre des extraits bizarres et fascinants. On le voit hurler pieds et poings liés, nu dans une valise, ou encore babiller dans son bain à propos de marginalité. Ce type voulait devenir une star, il a tout tenté, tout épuisé puis, comprenant qu’il s’était raté, a préféré se volatiliser pour ne plus exister.

En parodiant Deleuze, je lui disais hier qu’écrire, bien sûr, ce n’est qu’une histoire de désir (les grands mots). On désire, ou on ne désire pas. Ces jours-ci je n’ai pas le désir, alors je n’écris pas. Mais je constate avec bonheur — car je ne perds jamais de vue que ça pourrait partir pour de bon — qu’une toute petite bille de nerfs tendus, emberlificotés, revient et grossit d’heure et heure. Pour qu’elle prenne toute sa place dans ma poitrine et atteigne sa taille idéale, je décide de laisser filer jusqu’aux vacances. Ensuite, le désir sera revenu et il ne sera plus question de reculer.

À peine dix-huit heures, j’écris le journal plus tôt pour ne pas l’oublier. Je perds un peu le rythme du journal. Ce soir, il faudrait faire quelque chose. Les bars, les musées, les théâtres et les cinémas me manquent atrocement. Il faudrait faire quelque chose. Je n’ai la tête à aucune tâche studieuse, il faudrait pourtant faire quelque chose. J’ai une envie de bringue comme d’autres ont des envies de meurtre.

Je demande à mes upe2a, qui sont des élèves à part, mis à l’écart, quelles sont pour eux les choses du collège les plus angoissantes. Sans surprise, ils s’accordent tous : la salle de permanence, où les grands prennent plaisir à les martyriser ; les toilettes immondes ; les couloirs lors de la montée en cours. Ils me font me rappeler à quel point, à hauteur d’enfant, le collège est un abattoir.

Il me semble que c’est le personnage de Bunny Colvin, dans la saison 4 de The Wire qui le disait très justement : l’école, pour les enfants des cités, est un entrainement pour la vie réelle. C’est une reproduction en miniature de la vie urbaine, aux enjeux moindres. Au collège, on ne finit pas chez les flics avec un tonfa dans le cul, mais chez le CPE avec une heure de colle. Là, dans ce lieu préservé, on peut s’entrainer.

N.A. Je laisse de côté quelques textes intercalaires à rajouter ultérieurement, et j’entame la relecture ligne à ligne. Dans The West Wing, Toby Ziegler, directeur de la communication de la Maison-Blanche, dit : « l’art du discours, ce n’est rien d’autre que mettre ses idées en musique ». Ce n’est précisément qu’à cela que sert ma relecture — mais la marche est déjà trop haute pour ma petite cervelle : préciser le rythme, afin qu’il soit clair et net comme une ligne de batterie rock.

Nous écrivons nos messages selon un code complexe à chiffrer et à déchiffrer, rendant l’écriture et la lecture périlleuse à cause du risque d’erreur. Pour m’en prémunir, je cherche en permanence le mot ou la sentence juste, rien que le strict nécessaire pour que perdure le lien. Parfois, je cherche ces mots-là dans d’autres livres.