Grand plaisir, chaque fin d’après-midi, à perfectionner mon crawl. Mille mètres dans la baie – je sais tout de même suivre un rythme.

Finis John Le Carré – titre, évidemment, Une Amitié absolue – qui me fait une drôle d’impression de bricolage. J’y cherche des astuces scénaristiques pour faire entrer des ronds dans des carrés. L’inquiétude du monde post 11/09, le désenchantement des personnages dépassés par un un jeu dont ils ont presque inventé les règles, ne cède rien à l’efficacité narrative. Une ligne de crête est tenue de bout en bout, et à la fin, surprise, c’est le portrait d’une superbe amitié.


L’après-midi avec G., ce vendredi. Parlons de Publie, de Philippe Aigrain, de cette espèce d’aigreur et de déception qui nous anime tous, et qui tient autant à notre insuccès qu’à l’uniformité terrible du monde de l’édition. J’essaye de le convaincre, comme je peux, avec maladresse, qu’il faut poursuivre, trouver un truc.

Reparlons de son idée d’un livre au prix indexé sur sa propre rareté. L’idée fait son chemin. Plutôt que la rareté, il faudrait un cours très volatil, capable de faire varier un prix du simple ou double en un jour ou deux. Un truc complètement mortel.

Retour à Carnac. Impression d’avoir résolu un gros noeud de la N.A. J’avais passé trois jours au moins à tourner en rond sans trouver la moindre idée, puis c’est G. qui m’a mis sur la piste : « il faut qu’il fasse quelque chose. »

Perspective joyeuse de finir plus tôt que prévu ce rabotage narratif, et porter enfin mon attention sur les centaines de phrases encore insupportables, trop écrites, gonflées de rien. Il faut vraiment n’avoir rien à dire pour écrire des conneries pareilles.


Sentiments contrastés : orgueil, soulagement d’en finir – encore quelques jours, quelques paragraphes à ajuster, avant dernière grosse relecture, puis c’en sera terminé. Et en même temps je crains l’orgueil, car je suis assez lucide pour me rendre compte que le texte est toujours saturé de ces effets de manches, de ce baroque naïf et toc qui me pousse à me dire : toi, tu ne seras jamais un écrivain.


Après calculs compliqués, je conclus que j’ai dégagé 50 pages de la version précédente.

Télé. Je la regarde de la manière la plus abrutissante possible : dix secondes puis je zappe, pendant parfois une heure. Mais n’est-ce pas justement pour cet usage qu’est prévue la télé ? En résulte un embrouillamini invraisemblable, où les jeux paralympiques se mélangent dans ma tête avec l’Afghanistan, la meilleure façon de marier sa soeur, le drame de l’Amazonie et la nouvelle Porsche 3000 GTX mes couilles.


BFMTV, minuit. Rentrée politique des fachos et simili. Reportage, duplex et interview de chroniqueurs à propos de la « journée très politique » d’E. Zemmour. Les images bouclent à une vitesse ahurissante. Dix secondes max d’E.Z. marchant, souriant, signant des autographes, se prêtant aux selfies, etc., avec, en bande son, les fines analyses de R. Cayrol qui, je crois, a bien connu Sadi Carnot.

Je n’écoute pas les commentaires et me concentre sur la boucle d’images hypnotisante. Z. hâlé en chemise blanche ; Z. qui cause en faisant des gestes de bas en haut avec la main pour asséner son propos, etc.

Puis une scène troublante dans la boucle. Une très jolie fille, moins de trente ans, lumineuse, brune, typée maghrébine, propose un selfie à Z. Un ruban bleu pend à son cou, laissant penser qu’il s’agit d’une personne accréditée pour l’événement – petite main, bénévole j’imagine.

Z. pose chaleureusement sa main sur son épaule (mais rien de sensuel, je crois, juste le plaisir de se sentir aimé) ; on distingue de l’autre côté du champ un homme avec un portable, chargé par la jeune femme de prendre la photo (son compagnon ?, son collègue ?). Juste avant la photo, quand elle regarde en direction de l’appareil qui est aussi la direction de la caméra, elle a une demi-seconde de sursaut, c’est infime, quelque chose passe dans ses yeux, impossible de dire quoi, et elle se fige. Très vite, elle se ressaisit et fait un grand sourire parfaitement franc au moment du flash – puis merci à Z., merci aussi, puis s’en va, continuation de la boucle.

J’ai vu la scène une bonne trentaine de fois sans décider la raison de ce brusque figement. Quelque chose lui passe par la tête, mais quoi ? Un instant minuscule de vertige, qu’elle chasse aussitôt de ses pensées. L’absurdité de la situation ? Vertige de sentir « l’histoire en marche » (on est sur BFM) ? Ou l’inverse, instinct profond qui crie subitement : mais qu’est-ce que tu fous là au milieu des fachos qui ne t’aiment pas et te reluquent au prétexte d’amabilités ?

Putain mais barre-toi – c’est moi qui le dit.