Ai passé la soirée du match de foot dans le train. Je m’attendais à vivre par procuration les éclats, les émotions du match. Mais rien, pas d’humeur, pas d’unisson. Tout le monde se foutait de l’atmosphère et regardait le match sur son écran de téléphone. Les seuls soupirs qu’on entendait, ce n’était pas quand Paris encaissait un but, mais quand on perdait la 4G. Si même le foot ne nous fait plus sortir de l’hébétude…
Mes deux voisins, un type de mon âge au look d’agent immobilier, une dame d’un certain âge au look de femme de banquier, lisent tous deux des livres de Jean d’Ormesson, mais pas le même.
Dans son journal du jour, Jérôme Orsoni dit qu’il arrête de s’informer, parce qu’il ne parvient plus à « penser ses pensées ». Cette formule à tiroir, penser ses pensées, je devrais la faire mienne. Ne plus ouvrir le journal ou la radio, tous les réseaux, tout ce qui m’apporte l’information comme on donne la becquée.
Lui, pour désigner ce que les médias font à sa pensée, rejette le terme expropriation. Pour ma part, je pense au contraire qu’il y a une forme d’expropriation. Impression qu’on me retire quelque chose, en même temps qu’on me donne quotidiennement la becquée. On me retire un petit verrou de l’esprit, une clef de voûte — et après, tout est friable.
Retour à Carnac pour boucler la N.A. Dans mon idée, clore ce texte, c’est refermer une sphère. Pour cela, il faudrait que je me ramasse sur moi-même, bande mes muscles, puis bondisse sur ce qui me reste à écrire.
Mais j’ai tant de mal à retrouver au fond de moi, quand je suis ramassé et prêt à bondir, la sauvagerie brutale qui m’animait autrefois. Est-ce que je suis déjà trop vieux, trop sage à présent ?
J’espérais terminer avec le feu sacré au cul, c’est le contraire. Je tartine, je m’emmerde — en gros, c’est n’importe quoi.
Carnac. Comme chaque année, je m’y fais une cure de télévision. Le journal de 13h, sur la deux, pas si nul en fin de compte. Empathique et concret. Sur RMC, de gros bourrins dans de gros camions cherchent de l’or en Australie. Sur BFM, quel que soit le sujet, on est inquiet. On est inquiet pour le Var, pour la Biélorussie, pour les restaurateurs, pour l’amicale des boulistes durement frappée par n’importe quelle catastrophe. « La situation est préoccupante », disent-ils à longueur de temps. Sur NRJ12, un truc incompréhensible, trop mauvais pour être un mauvais téléfilm, trop dialogué pour être l’illustration d’un mauvais documentaire. C’est une sorte de C’est mon choix qu’on aurait mis en fiction.
En fait, je devrais plutôt passer ma vie devant la télé — au lieu d’écrire n’importe quoi sur l’ordi.
Sur la cinq, drôle de scène avec Maradona. Plan fixe, lui torse poil au sommet de son obésité, faisant des jongles démesurées sur un court de tennis. Il finit par s’arrêter, à bout de souffle.
Un tramway nommé désir : du Faulkner pour les bonnes âmes.
Comme si je n’avais pas quitté Saint-Denis. Même crasse en dehors et en dedans de moi, sitôt poussée la porte de la résidence.
Un café avec E., qui me met en garde contre l’atmosphère du collège. Elle a cette expression : « les mecs qui dealent crient “à l’affût, à l’affût”, quand tu arrives. » Mais je crois qu’ici on est tous, d’une manière ou d’une autre, à l’affût. Même elle, qui me fait une excellente impression, avec ses gestes tranquilles, son regard un peu fatigué, elle est à l’affût.
Acheté une paire de lunettes, la première depuis dix ans. Je n’ai pas pu m’empêcher de prendre celle qui me donne l’air d’un vieux garçon intello. Ça a son charme, parait-il.
Je suis, cette semaine, complètement en dehors hors de la littérature, de toute idée de création. Il ne se passe rien en moi que des mouvements automatiques. Endormi et bêta.
Et toujours aucune idée des premiers mots que je vais prononcer lundi devant les élèves : « Bonjour, je m’appelle Monsieur T. et je suis votre professeur de français. » Mais est-ce que le dire, c’est l’être ?
Journée d’accueil au collège pour les nouveaux profs. Sur la cinquantaine, nous sommes douze nouveaux arrivants. On me dit que certaines années, cinquante pour cent de l’effectif est renouvelé.
Deux jeunes profs, à peine sorties du cocon de la fac, qui ne doivent pas avoir plus de trois ou quatre ans d’ancienneté, nous présentent l’environnement pédagogique — c’est-à-dire le 9–3 —, et donnent des leçons de banlieue, clichées façon Grand Corps Malade. Pas envie de ça.
À propos des upe2a, tout le monde me répète de ne pas m’inquiéter. Je m’inquiète donc qu’on me le répète autant.
One + one. « Quand le roman sera mort, la société technologique nous dominera totalement ».
Fait partie de ces films mi-géniaux, mi-foutage de gueule. On assiste aux sessions d’enregistrement, artisanales et méthodiques, de Sympathy for the devil — je n’avais jamais remarqué à quel point les paroles auraient pu être de Dylan. Ces grands gaillards sont tous très laids, et Brian Jones, déjà presque mort, relégué, fait peine à voir.
Ensemble, ils essayent, se ravisent ou persistent. Ils jouent en permanence, toujours à taper ou gratter quelque chose, jusqu’à trouver ensemble le bon rythme.
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