En courant, pendant que je tenais mon allure idéale, je me suis rendu compte que ce qui m’empêchait d’améliorer mon temps sur 10km n’était pas ma condition physique — qui est excellente, ces jours-ci –, mais l’envie de me faire mal.
Je commençais à souffrir, et je me disais que je n’aurais peut-être pas envie, quand le moment serait venu de faire un temps, de me faire souffrir encore plus fort durant 44 minutes et 30 secondes environ. Bé. m’a dit : « voilà, tu vieillis ». Mais accepter de me faire mal, dans la vie, ça a souvent été ma meilleure arme.
« Au matin j’avais le regard si perdu et la contenance si morte, que ceux que j’ai rencontrés ne m’ont peut-être pas vu. » (A.R.)
Arrivée à Carnac. Dans le train, les chroniques de Vian sur le jazz. Certaines sont de grands morceaux. Moins sur le jazz en lui-même que sur l’attitude du critique face à l’oeuvre en général. La réponse à Marcassin en fin de volume, froide et brutale, est à montrer dans toutes les facs de lettre.
Discussion avec Bé. sur mes amis, à qui je ne parviens pas à écrire de mes nouvelles (!). Je lui explique que je considère la majorité des messages reçus comme des empiètements sur mon territoire mental, et les réponses à faire comme des obligations de type administratif. Les messages restent là, flottent devant mes yeux, jusqu’à ce que leur présence devienne insupportable. Bé. me répond qu’elle ne comprend pas. Elle dit qu’en fait, il faut vouloir faire plaisir. — Le problème, c’est évidemment l’égoïsme.
Les chercheurs de métaux armés d’une poêle à frire, qui arpentent la plage vers 21h et font de grands mouvements semi-circulaires. Il faut imaginer qu’ils se laissent bercer par le grésil de la poêle à frire dans leurs oreilles. Été — Bretagne — nuit — sable encore tiède. Ils ne cherchent pas de trésor, et sans doute pas à s’enrichir.
Une gourmette, une médaille de communiante, n’importe quel objet qui laisse imaginer une existence. Gwenola, 15 ans, une date de baptême. Une belle chevalière de bourgeois parvenu. Juste un petit bouton de jean.
Ils ne sont que des rêveurs, conteurs, pervers — c’est pareil — en quête d’amorce.
Mais un jour, l’un d’eux croira un peu trop à l’histoire qu’il imagine d’une gourmette ou d’un bouton de jean, trouvé sous une motte de sable. (Proposition de roman pour J. Echenoz ou P. Modiano — prix à débattre)
Partons demain pour Belle-Île. J’ai le pied enflé, les genoux qui sifflent et l’envie d’en découdre avec la N.A. Mais aussi la joie de retrouver les dunes et l’effort de la longue marche.
Un peu comme un chanteur de salle des fêtes possède son répertoire, nous nous sommes constitué, mentalement, au fil des mois, une anthologie de poèmes que nous connaissons par coeur. Depuis hier, je fais entrer « le Coeur supplicié » dans ma caboche. Les arts de mémoire sont pour moi, qui n’ai aucune aisance en ce domaine ni aucune pratique remontant à l’enfance, un labeur de tâcheron.
Débutons donc le tour de Belle-Île. Avons trouvé un coin de bivouac banal le long de la côte. Les plaisanciers saturent la mer ; on voit encore leurs stries au large, sortes de couloirs d’une autre nuance de bleu, parfois des heures après leur passage. Il y a des hors-bord au mouillage ; des familles entières à l’eau qui s’égaillent à côté de l’ancre. Le son des vagues est pris dans le bruit des moteurs, qui s’accumule et ne cesse jamais. Comment ne pas se dire — mais ne pas se le dire ! — que ceux qui circulent en Zodiac sont des putains d’enculés ?
Note pour plus tard : l’eau de mer ne convient pas à la cuisson des pâtes.
Je m’interroge sur la traduction des Hommes creux, que je trouve trop précieuse. Pourquoi traduit-il « headpiece filled with straw » par « la tête pleine de bourre » ? On pourrait conserver le sens littéral : « la boite crânienne remplie de paille ». C’est plus clair, sans contresens possible, et l’image en devient plus forte. Le reste du poème a été traduit de cette manière — par P. Leyris je crois –, désamorçant toutes les images.
Hier, nous commencions à peine à fermer l’oeil qu’une bande de glorieux soiffards a déboulé à grands cris dans la crique où nous avions planté le bivouac. Ils ont mis la musique, installé des spots lumineux et commencé à gueuler. C’était les saisonniers de l’hôtel Grand Large (sic) qui venaient fêter un anniversaire. Quitte à ne pas dormir, sommes sortis pour lier connaissance. L’un avait commencé The Wire, mais était trop saoul pour en parler, l’autre se désolait que les touristes étaient vraiment plus cons au mois d’août.
Journée éprouvante aujourd’hui, dont une grosse partie sous la pluie. Deux grosses ampoules aux orteils qui me font un mal de chien.
Le vieil homme et la mer, dans la traduction pirate (?) de François Bon. Drôle de tomber sur le tatouage en dernière page : « coopérative d’édition numérique ». Une époque.
C’est un texte simple, écrit sans moulinets de bras. Juste le récit beau et triste d’une belle pêche. C’est peut-être ça, la marque des grands textes. On leur prête mille tentations métaphoriques, mais le plus simple et le plus convaincant est toujours de les considérer pour ce qu’ils ne font que raconter.
Ces textes simples et honnêtes, impeccablement construits, qui ne racontent que ce qu’ils racontent, c’est ce qu’il faudrait ne jamais arrêter de vouloir faire.
Fin de la rando, retour à Palais. Mais la tronche de tous ces « volets fermés » ! — c’est-à-dire les gens qui ne sont là qu’en saison, et dont la maison en bord de mer est close le reste du temps. La majorité des gens que nous croisons depuis Sauzon sont issus de cette vieille Bretagne parvenue, à l’air discrètement supérieur, qui ne viennent fréquenter que leurs semblables. Il y a aussi des petits mecs bien sous tous rapports, en marinière et sneakers, qui essayent de passer pour des vieux loups de mer parce qu’ils regardent l’horizon.
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