C'est au moment de l'année où les tronches des élèves, leurs gestes et les mots échappés se remettent à danser la cumbia dans ma tête – et je ne les oublie pas et ils m'aspirent vers eux sans échappatoire.

Vers la fin, Hombres de maís est bien décevant : après l'acmé Machojon, le récit rétrograde vers l'anecdote et le baroque flamboyant devient maniérisme ampoulé. Il faut recommencer à lire en espagnol.


Côte raide dans la campagne sur la route pour la Antigua – mais chauffe moteur, voyant rouge, alarme et grosse fumée sous le capot : la bagnole nous lâche. On n'ira donc pas à cette soirée post-hippie, genre pour embrasser les arbres en écoutant de la deep house, fumer le calumet de la paix et saluer les forces du feu – j’aurais kiffé.

On s'arrange avec un mécano rencontré sur place : il fera toute la route depuis Mixco, débarquera demain à sept heures et passera la journée sur la bagnole, le tout pour un peu moins de soixante euros. Guatemala.


Ces sixièmes qu'on appelle pudiquement "plus faibles" et dont je vais m’occuper cette année : petit groupe de neufs gamins dans la lune, forcément dans la lune, additionnant toutes les dys- possibles, certains quasi incapables de recopier cinq mots sans faire d'erreur, d'autres quasi pas lecteurs, quasi pas scripteurs – une aventure pour nous tous.


Parents de B. arrivés hier, aussitôt partis ce matin pour Monterrico. J'ai donc trois-quatre jours seul pour avancer le backpack. Mais bien sûr je n'écris rien. Ce matin, en allant chercher le lait, P. remarque les maisons barricadées et barbelées, à l'architecture disons aléatoire : « pas beaucoup de goût pour les belles baraques, ici. »


J'écris à B. : pienso en mis volcanes. J'y pense beaucoup et je les écris un peu.


Revu Le Miroir, de Tarkovski – mais je crois qu'en réalité, (Solaris mis à part qui m’a toujours profondément ému) les films de Tarkovski me laissent sans émotion. Les plans froids et pâles, le phrasé traînant des personnages, la narration toute en coupés. Je m'ennuie, ça ne m'évoque rien et c'est très loin de mon imaginaire.

Je suis dans les pires dispositions possibles pour écrire ce texte. Il me faudrait des journées pleines et entières, qui feraient des semaines entières et même des mois, afin d'atteindre la disponibilité d'esprit totale dont j'ai besoin pour mettre dans le même réacteur les mots tourisme volcan et fin du monde. Mais demain B. va revenir, après-demain nous partirons pour une semaine, puis ce sera la rentrée et trois mois encore d'écriture discontinue percée de fatigue. J'ai besoin de mois de complète solitude.


Partis la semaine dernière avec les parents de B. pour leur montrer le pays, mais j’ai oublié le carnet, alors – et pourquoi je ne note jamais quand il le faudrait, et pourquoi je note quand il ne se passe rien d'autre que mes plaintes ? – le soir même je n'ai pas noté dans le journal ce que nous avons vu au Cerro Quemado, sommet volcanique où, à l'approche de la fête des morts, les mayas organisent des messes évangélistes et où certains se font exorciser. Une trentaine de minutes pour atteindre le sommet dans la caillasse, et, sous le soleil blanc, il fallait plisser les yeux, observer les replis des roches noires pour deviner de petites formes râblées, traits tirés, psalmodiant des prières qui donnaient l'impression d'être dites par les roches mêmes.

Et je n'ai pas noté non plus les barriletes d'hier à Sumpango : festival de cerfs-volants géants, dont certains font cinq ou dix mètres de diamètre, que les groupes communautaires conçoivent et fabriquent tout au long de l'année, puis les exposent à une foule venue de tout le pays. Mais ces cerfs-volants sont comme des autruches : si gros parfois qu'ils ne peuvent s'envoler.


Sur facebook en ce moment, cinq ou six personnes que je ne connais pas veulent devenir mes amis chaque jour. J'imagine que c'est la proximité de la sortie du bouquin qui encourage ça : comme si se mettaient en branle d'obscures et puissantes forces relationnelles (algorithmiques), des réseaux sous-jacents à l'influence de kaléidoscope dont j'ignore tout – et voilà que je deviens à mon tour une pièce dérisoire du grand jeu tectonique dont personne ne sait plus bien l'objet.

Et ces centaines de gens que je ne connais pas (certains des bots qui me montrent leurs seins, d'autres non a priori), est-ce que je dois les accepter ? Pour l'immense majorité d'entre eux, ils ont des milliers d'amis (sic), nous en avons des dizaines en commun (sic), mais moi je ne connais personne. B. me suggère d'accepter tout le monde, même les plus chelous et les plus forceurs – et il y en a des très chelous et des très forceurs, et c'est en effet ce que je fais – mais tout cela n'a aucun sens, car je sais bien que ces gens imaginent faire du réseau, mais pour qu'il y ait réseau (et c’est très boomeur ma réflexion bien sûr) il faut une relation, et pour qu'il y ait relation il faut un échange, et qui dit échange dit, sinon intérêt, au moins réciprocité, même asymétrique. Et dire que des types ont bâti des empires numériques en enlevant son sens au mot relation et en nous assurant que, par ce ce geste à l’imputrescible radicalité, la révolution est en marche.