J’imagine déjà le projet suivant, qui serait évidemment l’exact opposé de celui en cours : bref et nerveux, intrigue à l’os. Une course poursuite, une partie de sexe ou de tennis, un interrogatoire musclé. Et il faudrait écrire ce texte en quelques semaines seulement.
Bergounioux sur l’école : parfois dépassé par les événements. L’époque, la jeunesse lui échappe. Il justifie l’ensemble des impasses de l’école par le poids des déterminismes sociaux, et constate que sa présence dans une salle de classe ne commence même pas à combler ces inégalités. Je ne veux pas y croire. J’espère encore qu’un bon prof puisse mener des gosses vers des mondes où il n’était pas prévu qu’ils aillent.
Je recommence à courir, trois fois rien, 20-25 minutes max pour me dépurer.
Je surveille ma tête, l’intensité et le lieu des maux de tête. Hier soir, très ciblés et relativement intenses. Puisque je suis docteur en médecine, je soupçonne le virus de s’attaquer également au cerveau via les cavités nasales. C’est le récit que je me fais de mon infection :
Le virus est entré on ne sait comment dans le corps. Il s’accroche, localisé vers la gorge, et cherche une porte d’entrée dans les cellules. Son programme génétique, c’est-à-dire son instinct, le pousse à descendre vers les poumons mais les cellules épithéliales y sont trop bien gardées : quand on est un petit braqueur, on ne commence pas par la Réserve Fédérale.
Alors il rebrousse chemin et trouve refuge à l’intérieur de la cavité nasale, juste sous les yeux. Là, il y a une faiblesse, car une opération des cornets à la fin de l’enfance a considérablement affaibli mon système orl. Il entre.
La réponse de l’organisme est immédiate : toutes les défenses immunitaires convergent vers les sinus et provoquent congestions et céphalées. Le combat est intense et long. Mais puisque je suis encore jeune, mon système immunitaire prend le dessus sur le virus sans trop de difficulté. Acculé dans le cul de sac des fosses nasales, affaibli, celui-ci parvient à employer ses ultimes forces pour transpercer la paroi qui le sépare du cerveau et à s’y réfugier. C’est ce transpercement qui, il y a quelques jours, a provoqué l’anosmie.
La réponse immunitaire devient alors malaisée : pour le corps, impossible d’attaquer sans provoquer des dommages irréparables au cerveau. Sachant qu’il a les coudées franches, le virus se fait justement discret pour ne pas forcer une réaction démesurée de l’organisme. Il attaque les neurones un à un et se réplique en eux. Il regagne des forces. La seule réaction possible de l’organisme est de faire monter la fièvre, surtout le soir et le matin, 38 à peine, ce qui explique cette sensation de chaud à la tête. Et le virus continuera de se répliquer à bas bruit jusqu’à, pourquoi pas, la perte de la vision périphérique ou de la grammaire la plus élémentaire.
J’enregistre mes cours en vidéo pour ceux de mes élèves qui ne pourraient pas assister aux classes virtuelles. Et je ne m’attendais pas à prendre plaisir à m’enregistrer, à contrôler mon débit, mon élocution et ma posture face caméra. Plus tard, j’envoie à J. pour la première fois de ma vie un enregistrement vocal — et plaisir aussi à travailler ma voix imparfaite.
Il faudrait devenir un homme orchestre, conscient non seulement du texte, mais aussi de l’image et du son. Il faudrait de plus en maîtriser l’ensemble des paramètres de diffusion. C’est encore François Bon qui a raison. Le micro, la caméra, forcent à la réflexion de soi sur soi.
« Mais des voix d’homme nous réveillent et nous noient. »
Je passe un temps certain sur les réseaux sociaux à consulter le plus abominable de l’âme humaine — abrutis, fascistes, débiles mentaux, haineux, politiques puérils, leader d’opinion à foutre la tête dans une ornière, intellectuel prolétaroïde le cul avachi dans la mousseline — je passe mon temps à observer ces avis pour être bien certain que oui, c’est dans ce monde que je vis et que j’en porte ma part de responsabilité, puisqu’à trente ans je n’ai pas encore su peser pour le faire aller mieux.
Je passe tellement de temps à lire ces inepties terrifiantes qu’à la fin, je crois, elles me montent à la tête. Je me surprends parfois, en cuisinant des pâtes ou en faisant mon footing, à me repasser mentalement des séquences de BFM, d’obscurs posts de forum jv.com, ou bien le twitter de Donald Trump, ou bien encore le blog conspirationniste de telle ou telle célébrité du show-business à la française — je les revois passer sous mes yeux, je me les répète et je cherche un moyen de les reprendre à mon compte.
J’aimerais faire un texte de tout ceci, de la même manière qu’on malaxe ensemble des morceaux de pâte à modeler. Quelque chose qui me prouverait aussi que le monde est encore maniable.
Entamons avec J. une correspondance via mémos vocaux : nous lisons des poèmes, nous parlons de nos vies et de ce qu’on voit à la fenêtre.
Laisser un commentaire