Acheté cet après-midi un gros cahier à spirale. J’y regrouperai dorénavant la totalité de mes prises de note : préparations de cours, d’écriture, listes de course, todo, extraits de lectures — toutes traces ordinaires témoignant de ma présence dans le fichu monde. Ce cahier sera désormais mon principal outil de travail et je le garderai en permanence auprès de moi.
Il faudrait pousser le vice jusqu’à abandonner le cahier vieillot du journal, et insérer le journal au milieu des esquilles du nouveau cahier à spirale. Mais patience. J’ai encore besoin, plus que jamais, de sentir un espace privé, parfaitement délimité, pour les écrits du journal véritable. J’espère toutefois que dans quelques années, je n’aurai plus de honte à appeler mon journal l’ensemble de mes traces ordinaires.
Presque rien. Tout l’après-midi à plancher sur le site. J’ai bien conscience que j’y passe un temps dingue pour un résultat qui ne sera au mieux que banal.
Je lis moins. Quelques pages de D.F. Wallace de temps à autre. Son portrait de McCain en campagne est passionnant, et très éloigné des caricatures complaisantes que la presse française en avait dressé lors de la campagne de 2008. Malgré une syntaxe vacillante — dans le plus pur style, agaçant, de Rolling Stone — DFW apporte quelques jolis éclairages sur ce qu’est devenue la politique aujourd’hui : une armée de douze singes toxicomanes. DFW n’a pas connu Obama ; peut-être en aurait-il fait le portrait exactement inverse.
L’élève n’existe pas. (rêve)
À Dieppe. Pneu crevé avec la voiture de location. La roue de secours est en réalité une galette : une roue plus étroite, rouge, avec laquelle il est déconseillé de rouler…
Tentative d’écriture à propos d’une décharge. Il y aurait du texte et du dessin, et il faudrait qu’ils aient le même niveau d’importance, qu’ils se répondent constamment. Mais c’est une vieille chimère à laquelle rêvent tous les auteurs et dessinateurs, sans que personne y soit jamais vraiment parvenu — sans doute parce qu’au commencement était le verbe.
Avec A. pour travailler des séquences upe2a. Je suis stupéfait, un peu jaloux aussi, de son savoir-faire, de son assurance et de tout le travail qu’elle a pu abattre cette année. Et nous avons tous les deux très bien compris qu’en comparaison, moi je ne suis qu’un branleur.
Mais il m’est impossible d’imaginer une semaine où je ne serais que prof. Je dois pouvoir faire briller en même temps, chaque jour, toutes les faces de la figure géométrique qui me dessine. Auteur, professeur, amant, fainéant, joueur d’échecs, cinéphile, insomnieux : toutes devraient vivre à parts égales d’intensité.
La colocataire de M., thésarde en paysagisme (discipline qui pourrait être, d’après ce que j’en comprends, un urbanisme radical) m’apprends que l’immense bâtiment en ruine de la SNCF qui s’étend derrière mes fenêtres, que je nomme le Cargo, est appelé Cathédrale du rail par les gens du métier.
Je consulte mes mails toutes les dix minutes. Quoi qu’il en soit, je ne me fais pas l’impression d’attendre quelque chose d’important. Comme si l’effort d’écriture, qui m’a tant coûté, était à présent oublié et n’avait plus de valeur. Je sais pourtant que la N.A. existe. Elle trône, impavide, dans ses différentes versions, sur le meuble situé derrière mon dos. Seulement, son expérience, sa réalité sensible et les perspectives intellectuelles qu’elle m’ouvrait ont déjà disparu.
Le site approche de son état final. J’adapte ma volonté à mes limitations techniques, ainsi qu’au hasard joyeux que j’exerce en manipulant curseurs et boutons.
Le projet Décharge évolue à mesure. Mettre la narration en sourdine ; privilégier la pure description. Un homme vivant dans une décharge, qu’est-ce que c’est ?
Les oreilles dans Filles de Kilimandjaro, et un peu d’In a silent way. Et si Dylan a été mon héros de ces dix dernières années, pourquoi Miles ne serait-il pas celui des dix suivantes ?
Je reste donc à Saint-Denis, et au train où vont les choses je risque d’y passer le restant des vacances sans plus voir personne. J’en suis à un point où le dialogue incessant avec moi-même m’abrutit. On dirait que je vis comme un mort pour me prouver que je reste vivant — ce qui n’est décidément pas très bon pour mon teint.
Le projet Décharge mûrit lentement. Il faudra bien renoncer à la narration. J’imagine une suite de textes courts, 200 ou 300 mots qui ne seraient pas pour autant des fragments. Deux images dominent à ce jour : la première, l’enfant qui regarde par la plage arrière de la voiture les grands monceaux de la décharge. La seconde, le type à moitié fou, radieux, ayant planté sa tente au milieu de la décharge, et qui en devient à la fois le protecteur, l’enfant et le bénéficiaire.
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