Un peu malade : fièvre légère, fébrilité, petits maux de tête. Je pense, je sens, que ce n’est pas le virus — et même si, ça va.
Le Président a parlé tout à l’heure — et impression concomitante que ça y est, la peur a gagné toute la société. Un point remarquable : c’est une des rares crises où la panique a gagné d’abord les élites, ensuite la base.
Mêmes symptômes. Fièvre et courbatures, maux de tête s’intensifiant sur la fin de la journée. Je m’astreins à ne fumer que trois ou quatre cigarettes par jour et je guette avec anxiété l’apparition de douleurs respiratoires. (Je ne sais même pas, au juste, ce que peut être une douleur respiratoire)
Le pays entier, le monde, est confiné. Nos élites voient ou font semblant de voir, devant son extrême fragilité, la folie du système dans lequel elles nous ont engagés. Hier, le Président était même un homme de gauche ! De ceux qu’il traitait naguère, avec mépris, de belles âmes, il a repris le temps d’un discours les mots et les postures.
Sensation d’un étau qui me serre la tête. Tout est congestionné à l’intérieur. J’enrage de m’être laissé piéger.
Enfants, nous avions sans doute l’impression d’évoluer dans un monde assez molletonné pour ne pas avoir à en sentir les soubresauts. Nous n’avions connu que les frappes chirurgicales à la télé, quand nos grands-parents avaient dû fuir dans les campagnes. Mais depuis quelques années, un grand nombre d’événements nous rappellent l’évidence : nous sommes partie prenante du monde et nous ne pouvons pas y échapper. Nous ne sommes plus en sécurité nulle part, et surtout : il se peut que rien ne tienne.
Et je ne sais pas quoi lire. Le Château en traduction Vialatte me tombe des mains — il faudrait se procurer celle de Goldschmidt. Les autres bouquins qui m’attendent depuis parfois des années dans la bibliothèque ne me tentent pas davantage. C’est un problème, car sans les livres je n’ai nulle part où me cacher.
Je lis un peu partout que le confinement est un état d’exception. Beaucoup écrivent des journaux de confinement. Mais pour moi, en réalité, la situation n’est guère différente. Je suis chez moi comme tous les jours, je m’exhorte à travailler, je vois les heures qui filent et je me trouve bien fainéant. C’est un peu triste, le confinement n’est que ma vie générale.
Mais toujours malade. Depuis mercredi soir je traîne quelque chose qui ne s’en va pas. Hier j’étais chez B. — nous sommes un cluster, disent-ils — et la fatigue qui m’est tombée dessus à 21h m’a assommé d’un seul coup. Je suis mou, incapable de penser, et j’ai un goût d’eau de mer permanent dans les narines.
Et toujours rien de lisible. Après la conférence de Viel l’autre jour, je me faisais pourtant un plaisir de lire Travelling. Pourtant, lui aussi il m’agace. Je suis sans solution. Je regarde des films et des séries qui ne me sont d’aucune utilité.
Réveillé hier avec la même sensation que les dix jours précédents : plutôt en forme, mais quelque chose m’échappe. Je regarde par la fenêtre — les herbes folles, mon hangar qui rougeoie sous le soleil — cela devrait m’enchanter, mais je n’éprouve rien. Depuis l’apparition de la fièvre, je n’ai pas la sensation d’être au monde. Comme si j’évoluais le long d’un méridien virtuel, déporté, qui me ferait glisser sur les choses.
J’ai fini par comprendre : j’ai mis deux pschitt de parfum au creux de ma main, l’ai approchée de mon nez et inspiré très fort : il n’avait pas d’odeur. J’ai mis la tête au-dessus de la poubelle, pareil. Je ne sens plus rien. Je respire par le nez sans difficulté, mais toutes les odeurs du monde ont disparu.
Contrairement à mes réflexes habituels, la situation m’amuse plutôt. J’apprends qu’on appelle ça anosmie ; on dit même que cela pourrait être un symptôme du covid, ou bien le signe annonciateur, évidemment, des pires calamités neurologiques.
Ma vie s’étiole comme à chaque fois que je m’enferme. Les habitudes volent en éclat, les vêtements sales s’empilent, la poussière moutonne et s’accumule, et les papiers importants glissent sous le bureau pour y disparaitre à jamais. Et puisque je ne vois plus aucune utilité à aérer, je me demande quelle puanteur atroce doit s’épanouir que je ne peux pas sentir.
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