« — Ô soeur, pourquoi es-tu venue ici, où je ne t’avais encore jamais vue, tant la demeure est éloignée où tu habites ? Pourquoi m’ordonnes-tu d’apaiser les maux et les peines qui me tourmentent dans l’esprit et dans l’âme ? J’ai perdu d’abord mon brave mari au coeur de lion, ayant toutes les vertus parmi les Danaens, illustre, et dont la gloire s’est répandue dans la grande Hellas et tout Argos ; et, maintenant, voici que mon fils bien-aimé est parti sur une nef creuse, l’insensé ! sans expérience des travaux et des discours. Et je pleure sur lui plus que sur son père ; et je tremble, et je crains qu’il souffre chez le peuple vers lequel il est allé, ou sur la mer. De nombreux ennemis lui tendent des embûches et veulent le tuer avant qu’il revienne dans la terre de sa patrie.
Et la vague image lui répondit : — Prends courage, et ne redoute rien dans ton esprit. Ila une compagne telle que les autres hommes en souhaiteraient volontiers, car elle peut tout. C’est Pallas Athènè, et elle a compassion de tes gémissements, et, maintenant, elle m’envoie te le dire.
Et la sage Pénélopia lui répondit : — Si tu es déesse, et si tu as entendu la voix de la déesse, parle-moi du malheureux Odysseus. Vit-il encore quelque part, et voit-il la lumière de Hélios, ou est-il mort et dans les demeures d’Aidès ?
Et la vague image lui répondit : — Je ne te dirai rien de lui. Est-il vivant ou mort ? Il ne faut point parler de vaines paroles.
En disant cela, elle s’évanouit le long du verrou dans un souffle de vent. Et la fille d’Ikarios se réveilla, et son cher coeur se réjouit parce qu’un songe véridique lui était survenu dans l’ombre de la nuit. »
Odyssée, Homère, traduction Leconte de Lisle, 1868
Entre Vassilis et moi, la parole se raréfie. Tout cela manque d’animation, pour moi, et sans doute de nouveauté, pour lui. Et puis, au repas de 15h, après le poulet rôti et quelques verres d’un vin plus âgé, plus fort, enfin il a parlé pour de vrai : de sa vie précédente, quand il circulait à Athènes et ailleurs, plein de chagrin qu’il noyait dans la boisson et dans la drogue.
Depuis, Vassilis s’entoure de « Helpers » dans mon genre, des qui viennent des quatre coins du monde et qui lui tiennent compagnie, qui animent sa petite exploitation et le tirent de son quotidien chiche, fait de jeux de cartes dans les cafés de village et d’heures à somnoler devant la télé. Sans doute attend-il, comme beaucoup d’entre nous, que quelque chose arrive.
Je vais écourter d’une semaine environ mon séjour chez Vassilis, j’ai de la Grèce à voir, des inconnus à rencontrer, du temps à partager ; comment pourrait-il m’en vouloir ?
Les jours passant, j’agrandis mon périmètre d’action. Aujourd’hui, la marche m’a mené jusqu’à Myrtia, puis retour vers Skafidia en passant par Kalakeika et la plage au soleil. La mer moutonnait jusqu’à l’horizon et le sable était plein des déchets plastiques que les vagues avaient charriés jusqu’aux dunes. Étrange comme les gens d’ici, visiblement très attachés à leurs terres, se soucient peu de la propreté du paysage. Partout, sur les bords des routes et jusque dans les champs, les déchets s’accumulent. Des papiers gras, des canettes de bière écrasées, et même des pneus et une batterie de voiture…
J’ai pu renouer avec ma passion des bâtons de marche : un roseau sec et solide, bien droit, bien large, haut comme il faut — l’ai adopté et il m’accompagnera pour la suite.
Sur le retour, une confirmation : les plus belles heures de la journée sont passé seize heures : au matin, les couleurs douces des vergers chatoient déjà, mais ce n’est que bien après le zénith qu’elles trouvent une harmonie formidable ; le ciel alors fait doucement sa mue vers le rose, et les fruits des orangers croisés vers Kalakeika, par exemple, à cette heure, étaient devenus pour mes yeux bien davantage que des oranges.
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