Ça s'est arrêté un peu comme ça, le journal. À peine rentré en France, deux semaines sans rien.

Paris, Nantes, Carnac, Pontivy, ce soir Lorient, demain Rennes pour G. Un peu souffreteux et cette fatigue on dirait qu'elle me colle aux pores, qu'elle ne s'en va pas. L'air calme si calme d'ici la lisse à peine, et le soleil d'Europe tellement plus jaune et morcelé. À Paris, vu B. et toute l'équipe du Seuil. Retrouvé ensuite la mer de la presqu'île Saint-Co – et le moral peu à peu qui revient.

Je redécouvre aussi Pontivy, plutôt je le découvre comme si je n'y avais pas vécu vingt ans. Calme et doux, muet, et le Blavet autrefois sinistre et bloqué s'écoule sans fin en bon père de famille. Dans la rue, les visages sont tous familiers bien que je n'en reconnaisse aucun. Une tronche de Pontivyen, à quoi ça tient ? Il y aurait une allure, un pas pontivyen, une manière souple dans le ballant des bras, et le port de la casquette et le fumage de cigarette. Une manière dans le silence, dans la solitude moyenne. Pontivy aujourd'hui – première fois que ça m'arrive – me comble de désir.


Parcours sans grand entrain La Vallée du Silicium, de Damasio. Un peu comme dans ses romans, sauf que ceux-ci ont toujours la faculté de nous imposer fermement la direction qu'ils prennent, les positions qu'ils tiennent, les victoires qu'ils emportent. Ici je retrouve cet art agaçant, ringard comme il dit, du néologisme sous-deleuzien, et les longs développements café du commerce sur la tech, la vie, le corps, le lien, tout cela ensemble. Rien que du déjà lu mille fois mais ici c'est moins précis, moins pénétrant. Cela dit, qui d'autre que Damasio peut parler au plus grand nombre de ces choses-là ? Sa position est si précieuse dans le champ intellectuel et littéraire.

Les meilleures pages du livre se trouvent lorsqu'il s'ancre dans le réel – souvent les débuts de chapitre – avant qu'il s'enferme dans ses réflexions en  l'air. Description hallucinée de Tenderloin, du siège de Twitter, Meta, Apple, du fonctionnement des casques de réalité augmentée, de l'homme Arnaud incarnation du quantitated self : c'est tout ce que j'aurais voulu de ce livre, comment on voit les lieux, ce qu'ils signifient directement, au lieu du discours low-tech qui ne m'apprends rien bien que j'en partage la majorité des idées.


Chez G. à Pont-Péan. Je parle beaucoup, moulin à paroles, raconte pour la centième fois mon aventure guatémaltèque, n'omet pas les détails sans intérêt. G. m'aide à bidouiller (plutôt il bidouille et je le regarde) l'option caviardage sur le site.

Balade dans Rennes et toujours, à chaque coin de rue, à l'ombre de chaque arbre en fleur, le fantôme de C. Dans dix ans il occupera toujours ma ville mentale de Rennes.


Me faire tirer très officiellement le portrait ; récupérer les épreuves du Seuil, les corriger fissa, etc. Il me semble que je vais à Paris pour le livre, et tout cela me semble à la fois si caricatural et si important.

Acheté ce matin à Le Failler le seul exemplaire dispo dans tout Rennes de Sous le Volcan en traduction Darras, avec préface très inspirée. On dirait que depuis un an je n'ai jamais cessé de lire ce livre, même quand je ne le lisais pas.


Toute la soirée hier avec G., canal Saint-Denis, près de la passerelle – retour sur les lieux de nos vieux exploits, j'imagine. Je dis : à la Ciudad Guatemala, une soirée comme celle-ci, bières au bord de l'eau dans le calme et le jour finissant, serait rigoureusement impossible. Je lève la tête au ciel ; reflet des lumières mauves de la ville dans le gris du canal. Le petit chemin sablé que j'empruntais il y a deux ans pour aller bosser – mon coin préféré de la zone – est maintenant une vaste allée propre et nette parée pour les Jeux. Ça change même dans les coins suspendus de ma mémoire.

J'ai l'impression délirante de connaître personnellement tous les Parisiens de Paris.