En pleurs, J. me décrit avec exactitude cette sensation de panique et colère mêlées, d’étouffement et d’appel d’air, lorsqu’une classe nous échappe. Je lui dis que la seule chose qui marche, je crois, c’est de s’en foutre. Apprendre à s’en foutre car paradoxalement, dans les cas d’excitation adolescente extrêmes, plus on s’en fout meilleurs nous sommes. – Je pense que pour s’en foutre assez, il faut au minimum dix ans.


Lecture et correction de la thèse de J., tombe sur cette citation de Lyotard : « on peut faire un coup pour le plaisir de l’inventer : qu’y a-t-il d’autre dans le travail de harcèlement de la langue qu’accomplissent le parler populaire et la littérature ? » Plus je lis la thèse, plus je sens qu’il me manque Claude Simon. Journée presque entière au travail ; étude de geste ; corrections ; et allégresse un peu bêta à la librairie en repartant avec mon Poche intitulé Les romans de la Table Ronde – tout ce qu’il me faut en ce moment.


Entretien avec A. hier pour Comment ça va ? Pas réussi à aller au bout des choses, ni à faire émerger l’inattendu. Je ne sais pas encore très bien ce que je cherche avec ces entretiens. J’espère qu’un jour quelqu’un me dira naïvement une de ces phrases qui font sauter au ciel, explosent un verrou, une seule phrase qui me permette de penser tout haut, de biais, sur le dévers du sujet, et de voir s’écrire un texte juste devant moi.


Quelque chose gêne entre.

Une partie de la journée molle. Cette idée de François Dubet me fait peur et, en même temps, je dois le reconnaitre, résonne précisément avec mes impasses actuelles – ne les résout pas, mais les souligne et les met en perspective : l’égalité des chances promue par l’École est un mythe, un grand mensonge, dont la fonction est encore et toujours de consolider la République. En réalité, la République n’a jamais demandé à l’École de n’être plus une école de classe. Si l’École est si frustrante pour ceux qui la fréquentent, si elle nous semble en crise depuis la grande massification du XXe, c’est parce que c’est à elle, désormais, de faire le sale boulot.

J’ai toutefois du mal à souscrire pleinement à cette idée, car dans ce cas je suis précisément celui qui fait le sale boulot, et cela me répugne – Bourdieu. (Par ailleurs, Dubet est proche de Rosanvalon et d’Alain Touraine, il a navigué dans les cercles ministériels dans les années 2000. Proche de la deuxième gauche, il fait partie de ces intellectuels qui ont, doucement mais sûrement, évacué tout idéal dans la pensée de gauche – comment penser avec eux ?)


Le tour de trois bibliothèques pour faire le plein d’ouvrages, généraux et synthétiques, sur le système scolaire. Un petit essai assez percutant de Laurence de Cock, deux Que-Sais-Je et un autre Dubet, qui m’agace déjà.

En fin de soirée, après le match de foot, une sorte d’éclair : subitement tout se met en place : ébauche d’une architecture pour Comment ça va ?


Impression malgré tout que je n’avance pas, que je suis trop lent, que les tâches annexes de l’existence sont un courant contraire dans lequel je dois nager jusqu’à l’épuisement. Presque une semaine déjà est passée sur les deux que je m’octroie – je reste à Paris au prétexte de difficultés financières, mais c’est seulement pour n’avoir aucune excuse – et je n’ai rien produit de tangible.

Je corrige la thèse de J., je dévore des ouvrages de socio, je bidule un ou deux textes de rien, mets en ligne le journal, mais après ? En réalité, je ne nage pas contre le courant. Je nage dans le néant, et les seules choses qui m’épuisent sont mes gestes frénétiques de grenouille brassant le vide.