R. me dit devant la machine à café : « je ne sais pas combien de temps encore on va faire de l’occupationnel ». Je relève le mot que j’entends pour la première fois et butte un peu dessus. Après réflexion, il me semble bien choisi ; sonne comme un de ces termes administrativement éducatifs ou ministériellement conforme, que le monde de l’éducation nationale adore détester mais utilise à tout bout de champ, et dont l’épidémie covid a encouragé la formation expresse – ainsi du couple présentiel / distanciel, etc.
Faire de l’occupationnel, me reste en tête en découvrant les élèves qui entrent en classe comme un tank au garage. Ils sont douze. Même pas moitié de classe. Il y a les covidés, les cas contact, ceux qui ne sont ni l’un ni l’autre mais restent à la maison pour filer un coup de main, plus un ou deux supplémentaires qui profitent de la situation en bidonnant les autotests. Bien sûr, je ne vais pas leur faire le cours prévu sur la préposition, et on ne va pas non plus poursuivre Saint-Exupéry. Mais quoi alors ? R. avait raison : occupationnel.
Le soir je vois A., qui comprend que je ne veuille pas faire la garderie. Mais je précise les choses : je ne fais pas la garderie. Même avec une moitié de classe diversement motivée, l’occupationnel ça travaille un peu, c’est moins corseté, et surtout ceux qui sont largués depuis des mois vont pouvoir reprendre pied un peu. Mais ce qui m’inquiète, moi, dans ce mot, c’est qu’on ait eu besoin de le forger pour décrire cette réalité. Occupationnel comme modalité de cours, l’équivalent d’un mode dégradé pour les profs (car on sait que dans tout le reste des services publics, le mode dégradé est devenu la norme depuis des années déjà), où il n’est plus question de découvrir de nouveaux auteurs, ou de s’enfoncer sous la surface de la langue, mais seulement d’occuper le temps scolaire du mieux possible par révisions, reprises ou activités rituelles – ou jeux ou cent autres bidules pas trop pénibles. Occupationnel, car la situation est devenue si banale que R. a prononcé le mot naturellement, comme si déjà inclus dans sa langue familière.
Je jette un oeil au TLFI. Occupationnel : à propos d’une thérapeutique, « consiste à donner aux malades diverses activités (travail, expression artistique, sports, jeux) à travers lesquelles ils s'expriment et ont une vie relationnelle ». C’est un terme de psychiatrie. Occuper les patients pour développer l’expression et la vie sociale. C’est donc ce qui reste une fois que le covid a tout gratté, une thérapeutique, et je me demande alors qui est le fou et qui est le soignant.
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