Fin relectures Obi 3, pénible aujourd’hui se colleter les passages de faux, de pur bluff, et n’avoir d’autre solution que de maquiller tout ça par des mots par-dessus d’autres, c’est-à-dire poser du bluff par-dessus du bluff.

Quinze jours de grande solitude, avec passages de B. le matin et le soir ; derniers jours avant longtemps de cette solitude sereine appliquée.

J’entame un nouveau carnet, rouge. Le précédent, jaune, a tenu plus d’un an et demi, signe que le journal perd en vigueur : autrefois je torchais certains carnets en six mois.


P. Dernier passage dans la maison d’enfance avant déménagement et vente. Gorge prise et maux de tête. P., c’est mon enfance qui repasse pour me foncer dessus. Balade jusqu’au collège, méconnaissable depuis vingt ans que je n’y suis pas retourné. Quelques images mentales demeurent : le passage du grand portail vert avec T., la pionne, derrière moi parce que je suis en retard. Ce chemin aussi, étrange bordée de hêtres, jouxtant les bâtiments que nous empruntions, je crois, pour aller en sport. Ainsi que ces installations de mini-golf aujourd’hui à l’abandon, derrière lesquelles les plus rebelles d’entre nous fumaient leurs premières clopes.


Vu les deux P. et le tout petit M. Dernière fois avant le départ. Elle a sa famille maintenant, nous partons.


M. m’annonce le décès de la Dule. Ça me tétanise. Elle dans ma vie, c’était ma vie durant les années charnières, celles qui comptent double. Tout est là : nous qui la foutons dans la voiture pour l’exfiltrer de son taudis d’Oberwinden. Puis à Tours, chez B., quand elle prend l’habitude de sortir par le couloir de moquette rouge, vision twinpeaksienne avec sa tête fureteuse et sa queue levée au milieu du taffetas d’hôtel. D’autres fois encore à Antony, ces réveils avec elle ronronnante, extatique à côté d’une charogne de rat qu’elle a déposée sur mon oreiller, presque sur mon nez. Aussi, cette sorte de code affectif, en place dès le moment de notre rencontre à Oberwinden : je m’accroupis, elle bondit sur mon épaule et n’en bouge plus ; elle peut rester peut-être une demi-heure ainsi, comme un perroquet, et je vois ce qu’elle voit. 

Sur le site, il faudrait bâtir un mausolée pour la Dule.


Désagrégation de tout un agencement – notre vie à Paris – à mesure qu’approche le départ, meubles et fournitures envolés, tout l’ordre dérangé, piles et monceaux sous nos pieds au travers.

Nous deux dans l’appart à ne surtout pas bouger de l’appart – et si je crois que dans dix jours nous serons au Guatemala je me trompe. Dans dix jours, dix mois ou dix ans nous serons toujours là, entre les murs blancs nus avec nos valises ouvertes bourrées de vêtements et de livres, cette sorte d’existence dont l’attente est à la fois la cause et la conséquence.

Je relis Goriot. Franchement balourd, mécanique (enchaînement dialogues / commentaires psychologisant à propos du dialogue que nous venons de lire), avec parfois de grosses fautes de rythme et une intrigue digne de Plus Belle la Vie. Je ne me rappelle pas avoir déjà lu un Balzac aussi chiant. Qu’est-ce qu’on a pu y trouver de grand à ce bouquin, pour qu’on traumatise des générations entières de lycéens avec ? Par rapport aux Illusions perdues ? Au Lys dans la vallée ?


Chaos des merdouilles dans l’appart : ces choses qui ne sont rien, qui n’ont même pas le statut d’objet mais tapissent nos intérieurs. Je suis persuadé que si on les rassemblait dans une jolie boîte, un petit meuble, cela constituerait le meilleur cabinet de curiosité que l’existence nous consacre.


Orly. Hôtel. Quand les avions décollent, malgré le double vitrage, je crois toujours qu’ils explosent.