Prépare la rentrée demain. M’apprête à poser aux alumnos des questions comme : à quoi sert le langage, qu’est-ce que la littérature, chatgpt veut-il le beau ? – et je n’en sais moi-même pas grand-chose.  Je revois Twin Peaks 3, peut-être l’œuvre de Lynch paradoxalement la plus limpide, la plus directe dans son propos et la plus sûre de son fait : la progression du mal en Amérique.


Smog. Toujours épais, abyssal. Et c’est pareil dans toute l’Amérique centrale, paraît-il. Feux innombrables, trafic automobile, chaleur écrasante. Et j’ai l’image de ces particules infiniment fines – je les vois comme des poussières de cheveux, de minces filaments noirs – entrant en moi par les muqueuses, et je les sens se fixer en moi à l’intérieur des vaisseaux sanguins, remonter au cerveau afin que, après complète imprégnation, je les sente faire partie intégrante de ma réflexion.


Hier chez les parents d’A. Superbe villa sur les hauteurs, propre et scintillante au plus beau soleil, festin de viandes au barbecue. Tu vois, me dit J.M., aujourd’hui tu n’es plus le prof de mon fils, tu es un copain. On écoute Luis Miguel, Ahora te puedes marchar.

La veille, avec H. et W., avons fait la fermeture de la María Cantina. Me suis réveillé sur le canapé, sans me souvenir de comment je suis rentré. Clair que la cuite à présent n’est plus de mon âge.


Pluie en fin de journée avant le retour, ahorita, de la grande chaleur. Je relis les dernières versions d’Obi et comprends mieux, à quelques mois de recul, certaines remarques de B. Et elle viennent conjurer, ces remarques, ma grande inquiétude : n’ai-je pas écrit le énième et sempiternel truc chelou illisible ?


Un peu déçu par le Déserter d’Énard, qui manque d’incarnation et, comment dire, de tripes. Belles phrases toutes de mélancolie sonore sans que rien ne leur fasse écho.


La crève et cette sorte de déprime lourde et très physique qui déboule partout. C’est l’air d’ici, je crois, qui me rejette. L’autre jour, M. a prononcé le mot mal du pays. Depuis ça me reste dans la tête : le mal du pays comme une greffe qui tarde à prendre. 

Bientôt un mois que B. est partie. Elle rentre dans une semaine. Je n'y avais pas pris garde, mais je compte les jours.


Encore mal dormi. Rentré 14h mais incapable de quoi que ce soit. J’entame Asturias, regarde des westerns : La prisonnière du désert, Butch Cassidy, Pale Rider – demain quoi ?


Marée haute dans la cabeza ces jours-ci et je ne sais pas pourquoi. Totale fatigue, physique, mentale, mer haute jusqu’aux oreilles et me noie, ne se retire pas. À 13h tout à l’heure, avant de prendre les cinquièmes, je n’en pouvais tellement plus d’être moi avec toute cette mer de poisse dans la tête, que pour un peu j’en aurais chialé. Plus tôt dans la journée, je regardais L. et T. jouer aux échecs, mais je ne me rendais pas compte que ma simple présence à côté de l’échiquier les déconcentrait. Ils ont fini par me le faire remarquer ; j’ai passé les deux heures suivantes à m’en remettre. Je ne sais pas ce qui me manque, B., le calme, l’air pur vide et le silence sans moteur, sans voix d’élève, le sommeil refuge dans lequel s’enrouler en sécurité ; me manque le moi sans trop de moi, le moi-même dans l’absence du moi, dans l’absence du monde entier qui roule et me renverse.


Autre cuite vendredi qui me laisse, samedi et dimanche, dans un état sidérant de décompensation ; boire de l’eau même m’est désagréable.

Fortes pluies ces derniers jours et la semaine à venir encore davantage. Marée haute dans la cabeza et le pays. Le Mineduc annonce la suspension des classes dans presque tout le pays pour deux jours. Je m’en réjouis – peut-être me rétablir – mais aussi toutes ces images d’hundimientos, de derrumbes, de rues entières de villages ici où là noyées sous les eaux.