Étape à Xela avant demain Huehue et les grands cenotes, lagunas, tout l'Ouest. Les gringos dans l'hôtel beuglent et le Santiaguito dans un ciel d'orage veille sur la ville basse. W. quitte demain le Guate.
Unicornio azul, Huehuetenango. La finca s'étend sur un grand plateau bordé de collines où paissent les chevaux bruns. Des terracerías découpent en grandes lignes claires les champs de tomate et s'en vont mystérieusement dans les montagnes à l'horizon – et l'appel réprimé aujourd'hui de les suivre, où qu'elles aillent. Au loin, c'est le Santamaría et le Tajumulco cette fois qui nous observent. Les gens d'ici, stationnés aux intersections avec leurs motos ruinées, nous contrôlent du regard. Qu'est-ce que vous foutez là ? – Ils ne parlent pas.
Hasta la laguna, une trentaine de kilomètres à pied à travers les plateaux karstiques qui me rappellent, étonnamment, le Vercors ou la Lozère. Ici, ce sont les femmes qui mènent les moutons à la pâture, vêtues de leur corte un peu salie. Elles nous regardent marcher – cette idée cheloue – avec de grands yeux étonnés ou craintifs, et les hommes dans les pickups klaxonnent en nous dépassant – peut-être parce qu'ils voient B. en short – on ne voit pas souvent les jambes des femmes par ici.
Passons à travers une multitude de pueblitos, avec les chiens maigrelets, fermes tapées de bric et de broc, tiendas partout qui ne vendent que tortrix et doritos ; quelques cliniques rurales à l'allure des mêmes fermes tapées, et des gosses jouant sur des monceaux de détritus. Ici paradis perdu, tal vez, mais la plus grande pauvreté, la crasse qui soupire, et nous qui marchons juste pour le plaisir quand les gens s'épuisent autour de nous. Sur la porte de la posada rural où nous logeons, je lis ce message à l'attention des visiteurs : pour les gens d'ici « nosotros somos los de afuera ».
Finca Escosia, encore plus au Nord, au Nord maximum avant le Mexique, à moins d'un kilomètre pleine pampa de la frontière. Ici, d'impressionnants cenotes trouent régulièrement la terre ; les nuages épais et gris du ciel sont les gaz d'échappement de la terre. Plus qu'ailleurs au Guatemala, j'ai la sensation d'être, ici, dans la région de Huehue, uno de afuera. Les gens se disent en nous voyant : hommes étranges qui viennent du dehors – le dehors de ces grands plateaux – où l'on n’est jamais allés. Et avec les gens d'ici, aucune autre relation que contractuelle ou commerciale ne semble possible. Comment se comprendre ? Que se dire ? Il y a quelque chose que je ressens dans leurs yeux, comme mépris indifférence ou hypocrisie défensive pour les blancs friqués marcheurs que nous sommes.
À la fin de la traduction Darras, il y a une longue lettre de Lowry à son éditeur, Jonathan Cape. Il répond point par point, avec une précision sidérante, aux reproches faits à son manuscrit durant la première lecture. Il ne donne pas la clef du livre, mais présente une multitude de portes battantes, disons, où s'engouffrer si on le souhaite, et dévoile, comme s'il nous présentait un double fait au papier carbone, l'incroyable réseau de significations et de symboles qui tiennent le livre. Certes, Lowry se trompe parfois quant à ce qu'il a écrit – ce fichu chapitre 6 avec le portrait de Hugh – mais moi, voilà, à la dernière phrase, ils jetèrent un cadavre de chien derrière lui dans le ravin, j'ai toujours envie de reprendre au début.
Retour à Xela après longues marches dans le Nord tout embrumé. Fascination pour la mécanique de ces pickups qui gravissent les pentes quasi verticales. Ciel gris. Hôtel pour viajeros qui passe la playlist de mes quinze ans.
Tout ce que je lis ou entends sur le Volcan tourne souvent autour de la sentence un peu simple, un peu chic : le Volcan n'est pas un livre sur l'alcoolisme. Certes. Comme si le critique voulait signaler au lecteur – encore une fois ! – qu'il ne lisait pas bien, pas avec le niveau de lecture requis. Me semble au contraire qu'on ne peut pas mal lire, ou si difficilement mal lire, le Volcan. Tout ce qu'on en tire est vrai, pour la simple raison que la mise en place du réseau de symboles interpénétrés vise justement à provoquer chez le lecteur des questionnements et sentiments à chaque fois différents, comme devant un miroir kaléidoscopique. En fonction de la lumière, de notre état, il nous renvoie une image différente.
Alors, si le Volcan n'est pas un livre sur l'alcoolisme, qu'est-ce que c'est ? Impossible de dire de quoi il parle en quelques phrases. Je ne crois pas qu'il parle de quelque chose. (J'ai lu une connerie du type : « c'est un roman sur l'humanité » – bigre !) Il faut interroger plutôt les thématiques : alcool ; amour ; mort ; volcan (donc bien un roman sur l'alcool) – et ces quatre thèmes-là tournent et se mélangent dans la grande roue parfaite – la roue Ferris – que forme le roman.
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