Tu es voyante et tu tires les tarots. À tes clients tu dis tout, la bonne aventure, mais matoise tu te joue en secret de ce qui les inquiète. On s’interroge sur ton âge : dix-huit ou quarante-cinq ans bien cachés ? C’est ta bohème d’abord qui sidère. Déjà ton maquillage s’estompe, mais ta peau nue ne te révèle pas davantage. Tu es la plus secrète ; moi seul sais les efforts quotidiens que tu fais pour t’apprêter.
Tu n’as pas dormi. Hier soir, comme chaque soir tu t’es lancée à l’assaut de la nuit, accompagnant les airs de fête, les lumières et les terrasses des cafés bondés encore après minuit. Mais quand il a fallu rentrer après la sarabande, tu as levé les yeux, et cette fois, pour une fois, c’était différent : tu t’étais fait surprendre par le jour et tu t’étais perdue.
Et ta boucle d’oreille qui se perd en chair humaine, et ton encolure idem. Ce sont tes bugs Lorelei, tes bugs. Tes bugs qui te rendent inaccessible à la vie même. Tu t’es réfugiée derrière un forsythia blanc, mais le scélérat t’avale de ses vieilles branches. Céleste, à peine apeurée tu t’étonnes : « Que va-t-il m’arriver encore, qui ne me soit pas déjà arrivé ? J’ai mille ans. »
À tes lèvres, ton rouge framboise est dérisoire, pourtant tu t’imagines qu’il te protège. On voit tes dents abimées de fumeuse et ton nez qui verse parfois dans la coco… Oh comme tu regrettes désormais, tu regrettes.
Tu n’as plus que quelques secondes — tu es déjà ailleurs. Ton front s’étire et s’affaisse, tu vas fondre Lorelei.
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