Enfermé chez moi comme dans une salle de confinement.
Anniversaire de P. hier soir. Parlons de leur départ, qui me mortifie. Ce ne sera pas la première fois que P. me quitte, mais cette fois c’est différent et nous le savons tous les deux. Saura-t-on encore, à trente ans passés, nous aménager des espaces communs ? Car nos espaces communs, patiemment délimités depuis l’adolescence, si bien protégés, sont trop précieux pour qu’on les livre à la facilité, à l’habitude, à toutes nos brusqueries.
La nuit chez B.
La journée sur la N.A. mais des efforts vains et seulement quelques paragraphes ardus. Et je n’ai toujours pas commencé les travaux du réel : copies, cours, mémoire — combien doivent être heureux les gens qui ont eu le courage de se dégager du réel ! Est-ce qu’ils ont encore des formulaires à remplir, des mails à envoyer, des lettres à déposer à la Poste ?
Clockers. Étrange trajectoire de Strike, caractère indémêlable. Il y a une part de saloperie en lui, mais on lui donnerait le Bon Dieu sans confession. Que faire de lui ? Une fascination pour les trains, qui sont le trait d’union entre l’enfance et le voyage.
Rien. De ces journées qui passent sans qu’on ait pu dire comment. Mon application balourde et vaine pour la N.A. Il faudra sans doute tout reprendre du passage de la danse.
Je ne sais pas pourquoi j’ai acheté cette Histoire de France que je ne lirai jamais sérieusement.
Heureux d’avoir lu le Dufresne neuf années après sa parution. Plongée dans les mouvements contestataires de 2005 et 2006, courte focale, et le bouquin s’arrête là-dessus : « omnipotence du maintien de l’ordre dans la pensée policière actuelle. » En 2011, déjà, Dufresne montre que le pouvoir de police n’était plus pensé qu’en termes de maintien de l’ordre. Et aujourd’hui, comment ça se passe ?
Je ne tiens plus le journal. Plus exactement, c’est le journal qui s’éloigne. Je sens moins, avant de me coucher, la nécessité de l’ouvrir pour me recroqueviller une dernière fois sur moi-même et, les yeux renversés, en cette sorte de rituel masturbatoire un peu morbide, me scruter tout à l’intérieur.
Je voulais lire des livres ratés. Celui d’Edouard Louis n’est pas raté mais il représente ce que je déteste. C’est la putasserie de l’époque dans toute sa fausse complexité. Au prétexte de donner voix et corps aux exclus, au contraire, il vole leurs récits, ceux de Réda et de sa propre soeur, caricaturant jusqu’à leurs mots et leurs actes. Il envahit tout l’espace, ne laisse que des miettes. Même le lecteur devient un faire-valoir. Et tout ça pour quoi ? Rejouer à vide Bourdieu, Foucault et consorts — ayant bien pris soin de leur ôter toute puissance subversive –, et faire une poudre de perlimpinpin qu’on présentera aux yeux ébahis du bon peuple germanopratin. C’est dégueulasse.
Le bivouac dans les Causses avec B. et A. Nuits froides, mais les pieds ont tenu. Joie toujours renouvelée de manger la tambouille au coin du feu et le coup de pif à la suite.
C’est une éternité qui aura passé en nous faisant coucou de la main.
Fin de semaine toujours comme un sprint sans respirer. Fatigue du matin au soir. Nuits trop courtes et veilles trop étirées.
Retrouvailles avec les élèves. Quand je suis en cours, notamment avec les 19, je danse au-dessus du cratère d’un volcan et je m’épanouis dans leur feu à eux.
Le regard de F. après que je l’ai surpris à tricher avec quelques autres. En colère, c’est sa nature, mais l’éclat d’une pure intelligence sensible. Il a compris la réaction que j’attendais, tandis que les autres s’enfonçaient dans un déni ridicule. Il n’a pas dénoncé son pote et a saisi, pour tous, la porte de sortie offerte. Et je suis très fier de constater qu’une relation de confiance s’est installée depuis quelques mois déjà. J’ignore qui il est vraiment, il ignore qui je suis vraiment, mais sans que nous y prenions garde — car c’est vraiment nous –, un cadre équitable et fonctionnel s’est mis en place.
Quand il m’a regardé tout à l’heure, c’était le regard adulte, pour un instant arraché à l’enfance, d’un type bien.
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