Titane. Fait rare, après la séance, nous n’avons pas pu en dire un seul mot. Comme si ne pas en parler nous protégerait du film. Je crois que B. a détesté, que moi j’ai beaucoup aimé – mais rien de sûr. C’est l’histoire de quelqu’un qui baise des voitures et qui finit par tomber enceinte. C’est une histoire de serial killer. C’est aussi une petite chose fragile qui se place sous la protection de la version américaine, bodybuildée de Vincent Lindon – ou Vin Diesel alcoolique et divorcé. Est-ce qu’il faut rire, ou avouer qu’on a eu les jetons ? On ne sait jamais. Le film est à la croisée d’une dizaine de genres et d’esthétiques différents, et se plait à disloquer des situations familières (thème du monstre, de la filiation, de la maternité, etc.) en les poussant jusqu’à leurs limites grotesques. Et ce n’est pas très grave que l’ensemble soit, finalement, assez mal foutu. Ce qui compte, c’est seulement ce qu’on filme et avec quel tempérament.
Orsoni dans son journal, à propos d’un Balzac : « le roman, construction de langage, repose ainsi sur un fondement tacite, un langage sous le langage, un savoir implicite qui irrigue l’ensemble. »
Jusqu’à hier, jamais vu un Bergman. Monika, puis Persona aujourd’hui. Je comprends, en lisant quelques critiques, qu’il s’agit d’une variation sinueuse sur la théorie jungienne – mais je préfère prendre le film par l’autre bout : une actrice se tait subitement et, par l’appel d’air que produit cette absence, son âme s’engouffre dans l’âme de sa soignante.
Le film est tourné entièrement vers la question du visage. – N’importe quel visage est toujours une question. Les leurs se superposent, parfois s’annulent ; ils ne se ressemblent pas tant qu’on le dit. (Par contre, Bibi Andersson aux cheveux courts ressemble comme deux gouttes d’eau à G.) Et puisqu’il s’agit du visage, alors il s’agit aussi de l’actrice qu’Alma devient ; celle qu’Elisabeth, en se taisant, amène au plus haut degré de perfection.
Dans une pièce du XIXe dont j’ai oublié le titre, l’actrice dit : « ils (les spectateurs) me regardent et j’entre dans leur âme comme dans une maison vide ».
Hier, L. Au moins un an depuis notre dernière rencontre. Il semblait aller mieux. Notre relation en est à ce point que je ne peux plus discuter avec lui sans analyser son discours, ses gestes ou les expressions de son visage sous l’angle médical. Quoi qu’il me raconte, j’envisage toujours, tapi sous lui, la baudruche mentale qui menace d’éclater encore. Lui-même accepte ce regard, puisqu’il se débrouille pour que nos discussions deviennent celles d’un malade et de son médecin.
Interview de D.F. Wallace sur une chaîne allemande, datant de 2003. Bouleversant dans ses hésitations, dans la manière qu’il a de serrer les dents ou de cligner des yeux lorsqu’il n’est pas sûr de ce qu’il dit. Il met en garde contre l’ironie, qui peut être une manière de faire semblant de protester. L’ironie, dit-il, c’est le chant d’un oiseau qui en est venu à aimer sa cage.
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