Passage de la frontière hondurienne. Hier Copán, ce soir Tela. Ici, la saison des pluies s'étire jusqu'à la fin novembre ; chaque jour il tombe des hallebardes. Sur la côte, les marins refusent de nous emmener aux Islas Cochinos car la mer ne le permet pas.

Copán est splendide, mais, tout comme dans le Petén à Tikal ou à Yaxha, je n'ai rien senti. Les grandes pyramides mayas ne m'évoquent rien. Ce sont des cailloux ludiquement agencés. J'ai beau observer précisément les pyramides, rien ne me parvient d'elle de la civilisation raffinée d'il y a plus de deux mille ans. Faute de mieux, je m'intéresse aux signes d'aujourd'hui : les ouvriers qui remplissent des seaux de boue, les récentes œuvres de maçonnerie consolidant les stèles, les plastiques qui volent au vent. Et puis ces autres signes, tangibles, immanquables, constituant le trait d'union entre nous et les prédécesseurs : ces ceibas immenses aux racines grosses comme des wagons, dont la vie se mesure en siècles, où se cachent les guacamayas.


Il règne à La Ceiba, sur la côte caraïbe du Honduras, une atmosphère d'infinie fin du monde. Le ciel, la mer et le sable y sont du même gris que les choses partant en poussière. Les rues sont vides et boueuses, le vent s'est éteint. Les touristes ont fui le mauvais temps qui pourtant ne vient pas. Les vagues charrient les déchets qui s'incorporent au sable, au béton, dans les corolles des fleurs et les oreilles des chiens errants. Des milliers de particules multicolores tapissent le rivage jusqu'à la moindre cellule de tout le règne animal. Il y aurait, au loin, une vingtaine d'îles sur lesquelles le sable serait blanc plutôt que gris, et la mer bleue plutôt que grise. Mais nous savons que c'est un mensonge. Il n'y a plus nulle part, dans ces régions brûlées par le négoce, de sable blanc et de mer saine.


J'écrivais hier qu'il n'y avait plus de sable blanc – aujourd'hui me détrompe. Cachée dans une lagune d'Útila, au large de La Ceiba, le domaine Neptune est une de ces plages à restau où l'on n'entend plus les bruits des moteurs, où l'on boit des bières sans goût tout l'après-midi sous les cocotiers. Tout y est impeccablement bleu et blanc. On distingue dans la transparence de l'eau les récifs coralliens, que les bateaux de plongée viennent lentement souiller. J'ai le sentiment qu'aujourd'hui nous avons atteint le centre du pittoresque, la situation touristique dans son intensité maximale. Peut-être qu'à présent, ils ne pourront plus rien nous vendre d'autre.


Matin traversée d'Útila du sud vers le nord ; jungle touffue et moiteur, grandes bâtisses en bois défraîchies émergeant des arbres à palme, et sur le balcon desquelles on peut apercevoir, avec un peu d'imagination, un vieil homme blanc rongé de fièvre, fumant la pipe dans un fauteuil à bascule.

Ciel gris, orage menaçant. Un bar nommé « Rookie » aux abords de la Pumpkin Hill, avec le drapeau de l'Oncle Sam et des anathèmes trumpiste. Sur cette île, le mot backyard n'a jamais si bien porté son nom, s'agissant des Américains.


Solastalgie, j'ai appris ce mot hier : forme de souffrance existentielle causée par la conscience des changements environnementaux.


Repassons la frontière, côté mer. La part caraïbe du Guatemala – Rio Dulce, Livingston – est celle qui active le mieux mon imaginaire. Les vieilles maisons de bois colorées à balustrade dans la jungle, les chaleurs terribles et le ciel énigmatique : nous avons traversé Livingston dans le sens de la longueur pour nous rendre, deux ans après notre première venue, aux Siete Altares. Le long du chemin qui borde le rivage, nous rencontrons une française qui baigne depuis trop longtemps dans son jus caribéen.  Trente ans qu'elle vit ici, date de son arrivée en voilier à Livingston, après une longue bourlingue de sept années dans les Caraïbes quand elle avait vingt ans. À présent elle est raide, aigrie, pestant contre les machines à touristes qui lui flinguent son trait de côte. Elle habite une maison ruinée au bord de la plage et regarde les caboteurs transportant les touristes jusqu'à la Playa Blanca. C'est une artiste : elle fait des collages au format carte postale avec des matériaux trouvés sur le littoral : écorce de palme, peau de serpent, brindilles, feuillages, le tout recouvert d'une couche épaisse de verni.